Compacte, lourde, autoritairement possessive, Bologne, lorsqu’on y vient de Venise, semble écraser le sol, vouloir s’y creuser un lit. Sous les larges et basses arcades dont la plupart des rues sont continûment bordées chaque pas en avant fait de vous un captif, un prisonnier. Bologne est une ville profonde ; une profondeur toute minérale : peu d’arbres, peu de jardins. Dans les vieux quartiers, dans le lacis des rues étroites, une patine noirâtre veloute, épaissit la rouge argile et les crépis orangés des hautes maisons. Les portes s’ouvrent sur des cours resserrées, guère visitées par la lumière. Au cœur de Bologne, il arrive qu’on pense vaguement au cœur de Londres, au cœur de Lyon.
Quel dommage de rester si peu de temps ici ! Les musées sont fermés. J’aurais aimé revoir la belle Tête Grecque du musée Civique, cette fière Pallas toute de miel et d’ambre, dont les vastes regards taciturnes viennent de si loin et vont si loin ! Revoir aussi les alléchantes jeunes Saintes du Guerchin, moelleuses et tièdes, brunes comme des mulâtresses et si duvetées qu’on les dirait fardées de poudre de vanille... Les églises sont fermées également. Je ne pourrai donc pas, comme je l’ai toujours fait quand je suis venu à Bologne, aller allumer un cierge à San Petronio en souvenir des soixante-trois cierges que Fabrice del Dongo, ayant tué l’affreux Giletti, y fit allumer «pour une grâce reçue» («comme après un grand orage l’air était plus pur, ainsi l’âme de Fabrice était tranquille, et comme rafraîchie ...»). Sur les pilastres du porche de l’église close, voici du moins les énergiques bas-reliefs de Jacopo della Quercia, devant lesquels le jeune Michel-Ange reconnut les formes de ses songes. Et voici les deux grandes places en équerre où un mâle et robuste décor de palais (leur chair de briques est parée de bijoux de bronze) récite une grande prose d’architecture, puissamment cadencée.
Il parle de Bologne comme d'un animal puissant, possessif, écrasant... Étrange...
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