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mercredi 3 février 2010

Deposizione



Dans son Evangile selon saint Matthieu, Pasolini a choisi sa propre mère pour interpréter Marie au tombeau : le visage du fils dans celui de la mère (figlia del suo figlio). Flash inoubliable ravivé d'un sens prémonitoire à la nouvelle de l'assassinat de Pasolini. Etrange anamnèse à travers ce visage de Marie où semblent converger les promesses radieuses de l'Annonciation et les présages funestes de la Déposition.


Nico Naldini est le cousin germain de Pasolini (leurs mères étaient sœurs), et de quelques années son cadet. Il a consacré plusieurs ouvrages à Pasolini, dont une imposante biographie, traduite en français par René de Ceccatty et éditée chez Gallimard. L’année dernière est parue en Italie sa
Breve vita di Pasolini, dont j’extrais ce passage, relatant le moment où la mère de Pasolini, qui vivait à Rome avec lui depuis vingt-cinq ans dans un appartement situé dans le quartier de l’EUR, apprend la nouvelle de la mort tragique de son fils :

«Laura Betti mi telefonò alle otto del mattino di domenica : «Hanno ammazzato Pier Paolo, vieni qui (a casa sua)».
Le notizie improvvise anche se tragiche infondono un impulso euforico : è la novità del fatto.
Quella mattina dovevo passare in via Margutta per poi proseguire con Fellini per Fregene. La sera precedente avevamo cenato in uno dei ristoranti frequentati a turno con la piccola brigata dei suoi collaboratori e amici, Normina Giacchero, Lilliana Betti, Tilde Corsi.
Gli telefonai prima di uscire di casa, Federico lanciò un urlo ma avevo già riattacato. Alla sera mi dissero che era passato più volte davanti alla casa di Pasolini all’Eur.
Susanna era irrequieta ; erano passate le due del pomeriggio, il pranzo era pronto in tavola ma non sapeva decidersi a bussare alla porta della camera del figlio. Erano già arrivati alcuni amici ; ci si scambiava frasi occasionali. Quando a un suono del campanello andò ad aprire la porta si trovò di fronte Giulio Einaudi. Lo salutò, «la riverisco».
Quello che è accaduto dopo è conservato in un sottovuoto della memoria. Vecchi ricordi come durante la lavorazione del Vangelo quando Pier Paolo aveva detto a sua madre «Ricorda Guido», il fratello partigiano morto a diciannove anni. Avevo rabbrividito di fronte alla finzione che ridiventava realtà. Ma le urla che adesso si sentivano, solo un emiciclo greco di pietra avrebbe potuto contenerle. Seduto nel soggiorno rimasi immobile come un insetto terrorizzato. Stavo rifugiandomi nella depressione nervosa che frantuma ogni cosa. I fatti dell’esistenza quotidiana perdono ogni sequenza e scopo ; resta solo l’automatismo dei gesti.
La portiera dello stabile ci chiamò in una stanza appartata e assieme a Graziella, Cerami e Zigaina ci ritrovammo a tagliuzzare una bistecca. Le urla di Susanna trapassavano i muri.»

Nico Naldini Breve vita di Pasolini, ed. Guanda, 2009

«Laura Betti me téléphona dimanche à huit heures du matin : «On a tué Pier Paolo, viens ici (chez lui)».
Les nouvelles inattendues, même si elles sont tragiques, produisent toujours un effet euphorique, dû à la nouveauté du fait.
Ce matin-là, je devais me rendre rue Margutta pour rejoindre Fellini et partir avec lui à Fregene. La veille, nous avions dîné dans un des restaurants habituels que fréquentait la petite troupe de ses collaborateurs et amis, Normina Giacchero, Lilliana Betti, Tilde Corsi.
Je lui téléphonai avant de quitter la maison, Federico poussa un cri, mais j’avais déjà raccroché. Dans la soirée, on me dit qu’il était passé plusieurs fois devant la maison de Pasolini à l’EUR.
Susanna était agitée : il était plus de deux heures de l’après-midi, le déjeuner était servi sur la table mais elle n’arrivait pas à se décider à aller frapper à la porte de la chambre de son fils. Quelques amis étaient déjà arrivés : on échangeait des phrases de circonstance. On sonna à la porte, elle alla ouvrir et se trouva devant Giulio Einaudi [l’éditeur de Pasolini]. Elle le salua, «je vous présente mes hommages».
Ce qui est arrivé après est conservé dans un recoin de la mémoire. De vieux souvenirs remontant à l’époque du tournage de L’Evangile salon saint Matthieu, quand Pier Paolo avait dit à sa mère : «Rappelle-toi de Guido», le frère partisan mort à dix-neuf ans. J’avais frémi face à la fiction qui redevenait réalité. Mais les cris que nous entendions maintenant, seul un amphithéâtre de pierre grec aurait pu les contenir. Assis dans le salon, je demeurai immobile comme un insecte terrorisé. Je cherchais un refuge dans la dépression nerveuse qui broie toute chose. Les événements de la vie quotidienne perdent toute logique et toute finalité; il ne reste que l’automatisme des gestes.
La concierge de l’immeuble nous conduisit dans une pièce retirée et, avec Graziella, Vincenzo Cerami e Zigaino, nous avons partagé un steak. Les cris de Susanna transperçaient les murs.»

(Traduction personnelle)






Susanna Colussi-Pasolini dans les dernières séquences de L'Evangile selon saint Matthieu




Image : Rosso Fiorentino, Deposizione dalla Croce, (détail), Volterra

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