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vendredi 18 janvier 2013

Monte Amiata




Vu de Sienne, le Mont Amiata est une forme solennelle et délicate, couleur de cendre, qui plonge dans les espaces vides et venteux entourant la ville. Les jeunes filles dans les collèges, les écoliers dans les salles de classe presque toutes situées sur les ultimes éperons de l’habitat, se mettent souvent à la fenêtre, appuient le front à la vitre et s’attardent à le regarder. Quelques-uns sont de là-bas et sa masse lointaine, isolée dans le bleu de la région perdue, fourmille pour eux de vieilles histoires paysannes ; pour d’autres, c’est un mystère. Ce n’est pas un hasard si au milieu s’étend l’immense et irréelle vallée de l’Orcia avec ses crete (1) défrichées, ses vastes champs ensemencés, ses terres au repos dans le mouvement continu des coteaux qui occupent et ouvrent le ciel : la terre est d’un gris livide et brûlé si subtil que la lumière non absorbée s’y dilate en vibrations violacées qui se perdent au loin par delà les derniers contours et avivent la sensation d’immensité et de solitude. Terre qui apparaît comme une toile de fond pour la mémoire ou un lieu du rêve, au-dessus de laquelle un sens obscur et exalté perçoit le frisson d’un mystérieux courant d’air.




Mais le Mont Amiata est un règne beaucoup plus terrestre : son cône très élevé, riche en hêtres et, jusqu’en bas, en châtaigniers, s’évase en pentes douces et anfractueuses qui dans leur mouvement créent des cuvettes et de petits vallons : là, grâce à l’eau abondante, s’insinuent des cultures fraîches et serrées à moins que ne prospèrent vignes et olivettes à cause de la sécheresse ; vers le midi, le mont se répand en contreforts plus arides donnant sur la maremme où prédominent le grand chêne, entre des taches de plus modestes châtaigneraies, et encore l’olivier, la vigne, et dans les plis ombragés, les légumes. Quand la vue est limitée, on se trouve en un lieu des plus agréables, dans la profonde fraîcheur du vert fouillis des menues vallées où le paysan soigne sa treille, arrose ses céleris et ses salades avec l’eau du petit bassin ou du conduit rudimentaire tandis que plus haut, le grand été méditerranéen cogne sur le talus de la grand-route toute tressée de taches d’ombre et de soleil, et occupe nettement les sens et l’esprit, renouvelant le thème immémorial de la béatitude et de l’otium rustique. Quand l’horizon est plus ouvert, quand la vue se perd dans les latitudes célestes du pays siennois ou bien, sur l’autre versant, dans la fuite désolée à perte de vue vers la maremme des éperons rocheux entre lesquels serpentent de maigres torrents – l’Albegna et la Fiora – alors, l’imminence de tant d’espace suscite dans l’esprit une certaine mélancolie. 

(1) Crete : collines argileuses dénudées caractérisant la campagne siennoise. 

Mario Luzi  Trames  Éditions Verdier, 1986  (Traduction : Philippe Renard et Bernard Simeone)






Images : en haut, Alessandro Ornelli  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr 

en bas, Elena Fusto  (Site Flickr


D'autres extraits de Trames sur ce blog :

Spolète, l'Aurore au crépuscule

L'Eté, l'Enfance 

"Cor tibi magis Sena Pandit" 

Un autre extrait sur le site Terres de femmes :

Près de la reine de Saba  

Présentation de l'ouvrage sur le site des éditions Verdier

2 commentaires:

  1. Bonjour, le 1er extrait vidéo de la soirée en hommage à Bernard réalisée le 10 décembre 2012 est désormais sur le net avec le site Youtube -
    En voiçi l'adresse:
    http://www.youtube.com/watch?v=2AG_JzTV7kY
    Bien amicalement
    L'Association des amis de Bernard Siméone

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