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jeudi 21 juin 2012

Valentina !




"Ho cominciato che ero una bambina, gli anni sono passati e ancora adesso mi sento una bambina, una bambina a cui piace sfidare il domani. Dio, ma quanti sono i domani passati ?"







La grande actrice italienne Valentina Cortese vient (à près de quatre-vingt-dix ans – ce n'est pas une indiscrétion, elle ne cache pas du tout son âge) de publier son autobiographie, sous le beau titre nostalgique Quanti sono i domani passati (Combien de lendemains sont passés ? Ed. Mondadori.). C'est une vie extraordinaire qu'elle retrace avec la fougue et l'enthousiasme qu’on lui a toujours connu, et aussi parfois ces touches de cabotinage, de vacherie ou de fausse modestie qui font partie de son charme. 

Elle consacre de très belles pages à son enfance dans la campagne lombarde où, "enfant du péché", comme l'on disait alors, elle a été confiée à une famille de paysans (elle restera toujours très attachée à ses parents d'adoption, et ses éternels foulards autour de la tête sont un souvenir de cette enfance paysanne). Juste avant la guerre, à dix-huit ans, alors qu’elle vient de débuter comme actrice dans de petits rôles à Cinecittà, elle rencontre le grand chef d’orchestre Victor de Sabata (il a trente ans de plus qu’elle), avec qui elle aura une longue liaison admirative et passionnée. Cela nous vaut de belles évocations des grands concerts du maestro : son interprétation du Requiem de Verdi dans la basilique romaine de Sainte-Marie-des-Anges (avec des solistes exceptionnels, car à la différence du grand Toscanini, Victor de Sabata savait choisir les meilleurs chanteurs : Maria Caniglia, Ebe Stignani, Beniamino Gigli, Tancredi Pasero), ou les légendaires représentations de Tristan à la Scala : «Après le concert, Victor revenait plusieurs fois saluer pour remercier le public. Puis dans sa loge, il s’abandonnait, complètement épuisé, privé de toute énergie vitale puisqu’une fois de plus, il avait tout donné. J’avais l’impression qu’à l’ivoire de son visage s’ajoutait une pâleur mortelle ; je lui tendais un petit verre de whisky, mais il détestait cette boisson, qui avait selon lui un goût de pétrole. Petit à petit, il reprenait ses esprits. Un soir, il se tourna vers moi et murmura : "Je sais bien que chaque fois que je dirige Tristan, j’abrège un peu ma vie".» 

Valentina quitte Victor de Sabata après la guerre, pour tenter sa chance à Hollywood, où elle ne fera pas vraiment carrière ; elle y aura pour partenaires James Stewart, Gregory Peck, Spencer Tracy ou Humphrey Bogart, mais dans des films qui ne sont guère mémorables, exception faite de La Comtesse aux pieds nus, de Mankiewicz, dans lequel elle ne joue qu’un petit rôle (à Hollywood, son nom devient Cortesa). Son expérience américaine prend fin brutalement, le jour où elle lance un verre de whisky à la figure du producteur Darryl Zanuck qui s’est permis de lui faire des avances un peu trop appuyées. 

Après Victor de Sabata, l’autre grand homme de sa vie sera Giorgio Strehler, dont elle partagera la vie dans les années soixante, et qui lui offrira ses plus beaux rôles au théâtre : Brecht (Santa Giovanna dei Macelli [Sainte Jeanne des Abattoirs]), Tchekhov (Platonov, Il Giardino dei ciliegi [La Cerisaie]), Pirandello (I Giganti della montagna [Les Géants de la montagne], sa dernière pièce, demeurée inachevée, qui se termine dans la mise en scène de Strehler sur cette extraordinaire image de la charrette des acteurs brisée par le rideau de fer qui retombe brusquement sur la scène). Dans sa carrière exceptionnelle d’actrice de théâtre, il faut aussi rappeler la Lulu de Wedekind, dans la mise en scène de Patrice Chéreau et Le Procès de Jeanne d’Arc d'Anna Seghers et Brecht, sous la direction de Klaus Michael Grüber. Elle n'a travaillé qu'une seule fois avec Visconti, dans l'une de ses toutes dernières mises en scène, Tanto tempo fa [C'était hier] de Pinter, joué au théâtre Argentina de Rome en 1973 ; l'adaptation déplut fortement à Pinter, et on le vit même un soir lancer des pièces de monnaie aux acteurs pendant le représentation («Qu'il ait eu tort ou raison sur la question de l'adaptation, je trouve que son geste était vraiment vulgaire.» écrit Valentina à propos de cet épisode tragi-comique). Le lecteur s’amuse aussi beaucoup à l’évocation de sa collaboration avec Fellini pour Giulietta degli spiriti, où – selon ses dires – le maestro finira par couper presque toutes ses scènes pour ne pas fâcher Giulietta Masina, jalouse de se voir ainsi voler la vedette dans un film originellement tourné à sa gloire exclusive... 




Je cite ici un extrait de cette autobiographie dans lequel Veronica Cortese se souvient d’une émission télévisée de 1970, dans laquelle, sous le regard médusé de Pierre-André Boutang, elle se livre à un extraordinaire numéro d'actrice. Cette émission française aura une grande importance dans la suite de sa carrière, puisque c’est en la voyant que Truffaut décidera de lui confier l’un de ses rôles les plus célèbres au cinéma, celui de Séverine, l’actrice "étourdie" de La Nuit américaine (Effetto notte en Italie) : 

«Quand j’étais à Paris pour une tournée théâtrale, j’aimais loger à l’Hôtel, un petit établissement de la rue des Beaux-Arts qui fut la dernière demeure d’Oscar Wilde. Les chambres avaient des penderies si petites qu’il m’était impossible d’y ranger tous mes vêtements, mais j’aimais me plonger dans l’atmosphère où ce grand homme avait vécu. Aujourd’hui, c’est devenu un endroit très chic, mais je crois que les chambres sont restées les mêmes. 

Mon agent avait organisé un entretien de dix ou quinze minutes pour l’émission française Portrait d’artiste. Je déteste parler de moi devant les caméras, mais cette fois-ci j’acceptai parce que l’on me dit que c’était une chose importante pour un acteur qui souhaitait se présenter au public français. J’attendais l’équipe dans ma chambre, mais personne n’arrivait. Plus le temps passait, plus je me disais que je n’avais vraiment aucune envie de faire cette interview, alors, brusquement, je pris Truc Truc [le petit chien de l’actrice] dans mes bras et je m’en allai. Je tournai à peine l’angle de la rue que je me retrouvai face au présentateur de l’émission [il s’agissait de Pierre-André Boutang], accompagné de ses techniciens ; j’aurais voulu disparaître sous terre, je me mis à bredouiller quelques excuses, leur disant que j’étais justement sortie pour aller à leur rencontre. Je retournai avec eux à l’hôtel et nous montâmes dans ma chambre. Pendant qu’ils installaient les lumières, je jouais avec Truc Truc, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir inventer. L’entretien commença et, tout à coup, j’eus envie de m’amuser. Je commençai à jouer, à improviser, à confondre la femme Valentina et Valentina l’actrice. J’étais déchaînée, je passais du rire aux larmes, du soupir au haussement d’épaule ; j’alternais le français, l’italien, l’anglais et n’importe quelle autre langue étrangère qui me passait par la tête, sans me soucier de la prononciation. Je me moquais de moi-même, jouant la tragédie en prenant à partie le spectateur comme s'il s'agissait de quelqu’un de familier. Je fis un peu le clown, un peu l’actrice dramatique. Je récitai des passages de Brecht, de Shakespeare, de Wedekind, de Tchekhov, de Pirandello, et même des extraits d’El nost Milan une pièce en dialecte milanais. Puis, je passai de D’Annunzio à Saba, de Montale à Ungaretti, tout en racontant plusieurs anecdotes : par exemple le travail avec Fellini, qui décidait toujours au dernier moment de modifier les scènes et demandait aux acteurs de jouer en récitant des suites de nombres. 

Face à la caméra, j’apparaissais comme une femme parfaitement sincère dans la mesure où j’assumais pleinement le fait que j’étais avant tout une actrice. Au lieu des dix minutes initialement prévues, le tournage dura plus d’une heure. Le lendemain de la diffusion, Le Figaro et les autres journaux français m’appelèrent "La divine", "Le monstre sacré"... Je sus par la suite que les gens de théâtre et de cinéma avaient beaucoup commenté ma "performance". Parmi eux se trouvait François Truffaut, qui m’appela quelques jours plus tard pour me proposer le rôle de Séverine, dans La Nuit américaine

Extrait de Quanti sono i domani passati, autobiographie de Valentina Cortese, Mondadori, 2012 (Traduction personnelle, les notes entre crochets sont du traducteur)

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