Translate

vendredi 20 mai 2011

Le Due Torri (Les Deux Tours)


Un autre extrait du Journal de Valerio Zurlini, consacré à son amitié avec Giorgio Morandi :

«Adorava la natura, aveva occhi attentissimi a tutto e amava ripetere : «Si va in giro per il mondo e non ci si accorge di una gocciolina d’acqua su una foglia.» Un giorno camminavamo insieme in una stradina della vecchia Bologna e ci si presentò davanti uno degli innumerevoli splendidi scorci della città : «Mio Dio, che meraviglia quel tono di arancione...». Sorrise e mi corresse : «Arancino». Spesso dalla terrazza di casa Balboni si soffermava ad ammirare le due torri poco distanti, alla prima luce del crepuscolo. E ogni volta ripeteva che in un giorno di assenza dei proprietari sarebbe andato volentieri a dipingerle da quel particolare punto di vista. Ovviamente i padroni di casa si offrirono di lasciargliela a disposizione anche un mese o più, ma Morandi non si risolse mai a prendere quella decisione anche se, contrariamente a quanto molti credono, il suo tempo di esecuzione di un quadro era velocissimo, rifiutando ogni esitazione e ripensamento alla fluidità della sua pennellata. Forse ci pensò davvero, anche lungamente, poi un giorno, come concludendo una difficile meditazione disse : «Non riuscirei più a dipingere un tramonto : mi vedo sempre davanti una cartolina illustrata.»

La verità era un’altra : il suo universo si andava definendo con sempre maggior rigore, e per esprimersi il mondo degli uomini non gli era più necessario, forse costituiva un ostacolo via via più fastidioso. Le due torri sovrastano una città concretamente animata da sentimenti e da passioni contrastanti, con il suo fervore e il suo disordine, la sua allegria e la sua rabbia, l’amore e l’odio : stimoli di vita che Morandi sentiva l’urgenza di abbandonare definitivamente. Così nel corso del tempo, bandita l’effigie dell’uomo, Morandi tese ad abolirne anche l’invisibile e indiretta presenza, e i suoi spazi e simboli diventarono sempre più scabri ed essenziali mentre il suo distacco dalla realtà visibile si accentuava sempre di più.

Ma quante volte le antiche torri di Bologna saranno inconsciamente ricomparse nella nuda astrazione – involontariamente forse anche simbolica – delle numerose nature morte verticali, fitte o rade di bottiglie lunghe e scure, illuminate da tutte le luci del giorno e della sera, drammatiche o austere, talvolta misteriose come un lontano miraggio di antiche cattedrali logorate dai secoli ?»

Valerio Zurlini Pagine di un diario veneziano Ed. Mattioli 1885, 2009





«Il adorait la nature, il était très attentif à tout et aimait répéter : «On fait le tour du monde et on ne prête pas attention à une goutte d’eau sur une feuille.» Un jour, nous nous promenions tous les deux dans une petite rue des vieux quartiers de Bologne et nous nous sommes retrouvés devant l’une des innombrables vues magnifiques qu’offre cette ville : «Mon Dieu, quelle merveille, ce ton orange...» Il sourit et me corrigea : «Orangé». Il s’arrêtait souvent sur la terrasse de la maison des Balboni pour admirer les deux tours peu distantes, dans la première lumière du crépuscule. Et à chaque fois, il répétait qu’il aurait bien profité d’une journée d’absence des propriétaires pour peindre les deux tours depuis ce point de vue si particulier. Bien sûr, les Balboni lui proposèrent de laisser leur maison à sa disposition pendant un mois ou même davantage, mais Morandi ne se résolut jamais à accepter leur offre, même si, contrairement à un point de vue très répandu, le temps qu’il lui fallait pour peindre un tableau était plutôt réduit, tant son coup de pinceau était fluide, refusant toute hésitation ou repentir. Il y pensa vraiment, pendant longtemps, et puis un jour, comme s’il était parvenu au terme d’une difficile réflexion, il dit : «Je ne réussirai plus à peindre un coucher de soleil : j’aurais toujours l’impression de me trouver devant une carte postale.»

Mais la vérité était ailleurs : son univers s’imposait de façon toujours plus rigoureuse, et il n’avait plus besoin du monde humain pour s’exprimer, ce dernier constituait peut-être même un obstacle toujours plus gênant. Les deux tours dominent une ville animée par des sentiments et des passions contrastés, avec sa ferveur et son désordre, sa gaieté et sa colère, l’amour et la haine : des pulsions de vie qu’il était urgent pour Morandi d’abandonner définitivement. Ainsi, au fil du temps, après avoir banni la représentation de l’être humain, Morandi s’efforça d’abolir aussi son invisible et indirecte présence ; ses espaces et ses symboles devinrent toujours plus dépouillés et essentiels, tandis qu’il accentuait toujours plus son détachement par rapport à la réalité visible.

Mais combien de fois les vieilles tours de Bologne auront-elles inconsciemment resurgi dans la nudité de l’abstraction – elle aussi peut-être involontairement symbolique – des nombreuses natures mortes verticales, avec ces rares ou nombreuses bouteilles allongées et sombres, baignées par toutes les lumières du jour ou du crépuscule, dramatiques et austères, parfois mystérieuses, comme le lointain mirage d’anciennes cathédrales usées par les siècles ?»

(Traduction personnelle)






Images : en haut, Site Flickr

au centre, Giorgio Morandi Natura morta, 1956

en bas, Giorgio Morandi Bottiglie e fruttiera, 1916

1 commentaire:

  1. Il y a comme cela, soudain, un regard nouveau sur un être qui nous hante. Celui de Zurlini sur Morandi est tellement fin. Il fait coïncider une émotion visuelle avec une mémoire qui décidera peut-être de sa recherche de la verticalité.
    J'ai eu la même émotion, dans un passé proche en recevant une autre méditation, celle de Ishaghpour sur Morandi. Il écrit :
    "Grâce à la réminiscence, la perception devient l'image-souvenir d'elle-même, dans un mouvement de venir à la présence où la perception et l'image-souvenir se rencontrent. c'est une tonalité, une lumière, qui transfigure toutes choses, mais sans faire perdre à chaque chose sa phénoménalité, sa singularité, sa fragilité. La réminiscence est cette transfiguration spirituelle : la rédemption du temps en mémoire et de la matière perçue en lumière."
    Ainsi en est-il de certains visages aimés et perdus qui deviennent paysages de l'âme mélancolique... et ce livre me devient talisman.

    RépondreSupprimer