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vendredi 25 janvier 2013

«Vous ne devriez pas être là !» («Non dovreste essere qui !»)




La religion, cependant, il se pourrait bien que jamais je ne m'en sois approché de si près qu'au fil mal tendu de ces Élégies. Ce n'est pas pour m'y soumettre, et ce n'est pas non plus pour la bafouer, autre forme, et rageuse, de l'hommage et de l'acte de foi. Mais nous vivons depuis des mois dans l'encerclement toujours plus étroit d'un fléau. Vers le fond de toutes les lettres, tapie dans les moindres échanges de nouvelles, fatal butoir de tous les tours d'horizon, se cachant un moment de ce côté-là pour mieux ricaner de celui-ci, la mort, la mort, toujours la mort : fastidieuse, répétitive, terriblement dépourvue d'invention. La mort oblige à méditer sur l'absence, dont elle est le fin mot, et l'absence sur Dieu, dont elle est un des noms. C'est au point que nous vient aux lèvres une prière, qui n'a de sens que de ne pouvoir être entendue par Personne :

 « Dieu qui n'êtes pas, notre Maître en absence, ouvrez-nous les chemins de la terre sans chemins. Laissez Votre silence nous enseigner le nôtre. Autant qu'à Vos églises, vous manquez à la nuit, Suprême Carence, Vous manquez à la nature, aux déserts, aux forêts, aux plateaux comme à la mer, comme à nos âmes et à nos vies. Ce vide qui dans certains de ses épanouissements impeccables a seul été capable, parfois, de nous faire lointainement ressentir, par un gouffre qu'il ouvrait en nous, la majesté sans pareille de Votre néant, creusez-le davantage en nous. Daignez en aggraver notre soif, vivifiez-en notre désir. Ô permanente Eclipse, et sans Vous commander, faites-nous participer de Votre formidable inanité. Ô Très-Absent, Creux des Creux, Abyme dans l'Abîme, Dieu sans mémoire, sans origine et sans avenir, ne nous en veuillez pas d'avoir été. Considérez plutôt la méticuleuse imperfection que nous y avons mise, et consentez d'y voir mieux qu'une ressemblance, une aspiration vers Votre essence, un fragment, déjà, de Votre divinité. Et permettez-nous désormais d'être Vous, ou de n'être Rien : ce n'est pas incompatible. »

Renaud Camus  Élégies pour quelques-uns  Editions P.O.L, 1988









Images : Renaud Camus  (Site Flickr)



7 commentaires:

  1. Réponses
    1. Mais c'est "Vaisseaux caviardés" ! Je crois que la phrase fait référence à un article de Renaud Matignon : "Gonzague Saint-Bris veut être François-Marie Banier ou rien : ce n'est pas incompatible."

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    2. En effet. §384 des Vaisseaux :

      « Ce n’est pas incompatible. » (Chute de la chute d’un article de Renaud Matignon dans un vieux Figaro littéraire : « Gonzague Saint-Bris veut être François-Marie Banier ou rien : ce n’est pas incompatible. » Le même critique écrit de moi, à propos de L’Épuisant Désir : « Dans un livre où chaque mot est inutile, M. Renaud Camus promène sur le monde, ou ce qui en tient lieu à ses yeux, un constant ravissement de soi, un bavardage fatigué et une plume en cul-de-poule. » Il est aussi question de “poésie de l’orteil”, de “préciosités de sous-préfectures”, de “lyrismes de syndicat d’initiative” et de “gracieusetés de pavillons de banlieue”, de “philosophie de chef de rayon” et d’“élégances de dame vestiaire égarée dans les beaux arrondissements”.)

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  2. Que c'est beau et profond ces mots et ces toiles...
    "Un vide sans lequel il n'y aurait rien de plein"... (Roger Munier / La dimension d'inconnu - Ed. José Corti)

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  3. @D.F
    Donc vous êtes critique littéraire et d'un style décapant si j'en juge votre citation... Je n'ai pas lu ce livre, ni aucun autre livre de Renaud Camus. Toutefois, le premier paragraphe de ce texte extrait du livre : "Élégies pour quelques uns" offre une belle méditation :
    "La mort oblige à méditer sur l'absence, dont elle est le fin mot, et l'absence sur Dieu, dont elle est un des noms."
    Je trouve ce face à face - ou ce dos à dos- pertinent. Et vous ?
    Cette phrase me suffit pour être attentive au silence...

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    1. Christiane, il y a ici un malentendu : D.F. cite un passage de l'"hypertexte" de Renaud Camus "Vaisseaux brûlés". Le critique dont il est question (à propos de son article paru dans Le Figaro sur un roman de Renaud Camus, "L’Épuisant désir de ces choses") est feu Renaud Matignon, dont la plume était souvent féroce et expéditive.

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