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mardi 29 janvier 2013

Ombre rosse (Ombres rouges)




Il faut se donner beaucoup de peine, ou avoir beaucoup de chance, pour trouver aujourd'hui les livres de l'écrivain florentin Piero Santi (1912-1990), publiés pour la plupart dans de petites maisons d'édition à un nombre limité d'exemplaires et donc épuisés depuis longtemps. Je suis un jour tombé par hasard en visitant un marché aux livres anciens à Pise sur l'un de ses ouvrages, un curieux recueil intitulé Ombre rosse, édité en 1954 aux éditions Vallecchi ; il s'agissait apparemment d'un guide des cinémas de Florence, constitué de plusieurs chapitres dont les titres correspondaient aux noms des cinémas visités : l'Alhambra, l'Astoria, l'Orfeo, l'Astra, le Lumen, le Splendor. Dans l'atmosphère confinée de ces salles, la dense fumée des cigarettes (nous sommes dans les années quarante du siècle précédent et l'on pouvait encore fumer dans les salles de cinéma), la lumière de l'écran et des petits néons rouges servant de repères dans l'obscurité, on assiste à des rencontres furtives, des aventures étranges et parfois dramatiques. Bien sûr, ces rencontres sont souvent omoerotiche (homoérotiques), comme dit précautionneusement Piero Santi, et si l'on songe au puritanisme de l'Italie des années cinquante (et au-delà...), on se dit qu'il a quand même fallu une certaine audace à l'auteur pour publier cela. Les deux passages de ces Ombre rosse (on remarquera que c'est aussi le titre italien du film de John Ford, Stagecoach (La Chevauchée fantastique)) que je reprends ici (dans une traduction personnelle) sont extraits du prologue et du dernier chapitre de l'ouvrage, dans lequel Piero Santi raconte l'histoire de Francesco, un jeune employé de banque solitaire et tourmenté, voué à une fin tragique :


Le luci dei cinematografi. La luce vera è quella dell’intervallo che incendia le pareti e le poltrone e gli uomini di un incendio impudico ; quella è la luce reale ; poiché la luce dello schermo, riflessa, e la luce delle lampade rosse, riflessa, non luce sono, ma ombra luminosa. Ombre rosse, sono in realtà i chiarori delle sale cinematografiche, quando ronza la macchina e filtra la colonna luminosa illuminando lo schermo ; e ombre potrebbero essere anche gli spettatori stessi che nei corridoi si aggirano e si fermano improvvisi : ombre già quasi e quasi già uomini ; e rosse, non grige come quelle dell’Erebo pallido : ombre e forse uomini certi ; ma ombre rosse. 

(...)

Ma perché – potreste domandare a questo punto anche se questa domanda sarebbe un poco superflua per quanto già è stato detto finora – perché Francesco s’era intestato a cercare proprio in un cinematografo quel che poteva forse trovare altrove ? Che cosa poteva offrire al ventiduenne impiegato di banca il cinema ? Lo Splendor, questa ampia e chiara cavèa, quale molla segreta dell’animo di Francesco poteva far tinnire, quale corda del suo cuore far risuonare ? La risposta è semplice : egli non osava niente fuori di quella intimità : era l’intimità del cinema, era quel silenzio, la possibilità di vicinanza senza parole che non solo gli facevano sperare un appagamento più facile che altrove, ma anche lo eccitavano maggiormente : come per altri, del resto, l’aria del cinema, quella oscurità non completa, quella luce oscura – se ci è permesso dir così – movevano dentro di lui i sentimenti più segreti... Altri ancora hanno bisogno della notte dei parchi per scoprire una integrità simile dei propri sentimenti e per rivelarli a se stessi... altri ancora, cercano altri luoghi... Ma per Francesco era il cinema ad offrire conforto e speranza. Non una speranza calma, anzi inquieta : ma proprio quell’inquietudine era già, almeno un poco, consolante poiché in essa egli trovava un primo – spesso, anzi l’unico – appagamento : già quando porgeva alla «maschera» distratta il biglietto, già quando d’inverno, si levava il cappotto prima ancora di entrare nella sala da proiezione ; e poi, l’ingresso nell’oscurità. Varcare la soglia di una delle porte era come tentar le soglie insieme dell’Inferno e del Paradiso : per quell’aperto mare di corpi affondati nell’ombra e in un silenzio insensato : fra i quali avrebbe potuto scoprir lui, l’Ignoto ; quei corpi muti, davvero conturbanti, quei volti un poco sinistri ; e lassù, al di là delle ondate ampie e lievi del fumo delle sigarette, la lontana luce dello schermo ! Quale scrittore mai potrà far comprendere che cosa fosse per Francesco e per miglaia di altri simili a lui, il fascino terribile, e, diciamolo !, folle dell’ingresso, dopo tanta luce delle strade e dei corridori illuminati, nella sala di proiezione ? Il cinema è – come vien spontanea, facile, la parola ! – una giungla da esplorare arbusto per arbusto ; e da quali liane potrà essere avvinto il fiducioso esploratore ? Quali teneri serpentelli o cobra velenosi si avvinghieranno alle sue gambe ? Quali sentieri saprà egli inventare – più che scoprire – per giungere al porto sconosciuto e impreveduto e pur tuttavia intensamente atteso ? Ecco, là vi è un volto che sembra meno attento degli altri, e accanto il posto è libero : guardiamo : l’altro si volta un poco ? Si accorge dell’ansioso giovane ? del ventiduenne timoroso ? No, osserva lo schermo, sembra, attentamente... Ma osserviamo ancora : bisogna che colui si distacchi, prima o poi dal guardar lassù, che si muova, che almeno muova un braccio, che accenda una sigaretta e in quel momento distraendosi dallo schermo, si volti alla fine verso... Ma ecco, si è voltato infatti, e senza accender la sigaretta, come richiamato da una volontà potente ; e guarda : ma appena, però. Passano molti (o pochissimi ?) secondi : colui cambia posizione sulla poltroncina e – ecco, ancora, ancora ! – con fare distratto volge il volto verso... Sarà lui l’Ignoto ? O sarà una illusiora fata morgana ? Poiché la giungla si è trasformata, ormai, in un deserto : gli altri corpi sono per un momento scomparsi e là dove prima si aggrovigliavano cespi ed alberi ora si stende la solitudine : unica oasi è quel volto. 
E allora, bisogna sedere lì, accanto. 
Comprendete, allora, quale fascino possa avere, per molti, un cinema e come poteva apparire a Francesco ?

Piero Santi  Ombre rosse  Ed. Vallecchi  Firenze, 1954






La lumière des cinémas. La vraie lumière est celle de l’entracte qui incendie de façon impudique les murs, les fauteuils et les hommes ; c’est la vraie lumière ; parce que la lumière de l’écran, réfléchie, et la lumière des néons rouges, réfléchie, ne sont pas des lumières, mais plutôt une ombre lumineuse. Des ombres rouges : voilà ce que sont en réalité les lueurs des salles de cinéma, quand le projecteur ronfle et que filtre la colonne lumineuse qui illumine l’écran ; et les spectateurs eux-mêmes pourraient n’être que des ombres qui errent dans les couloirs et s’arrêtent brusquement ; presque des ombres déjà, et presque déjà des hommes ; ombres rouges, et non pas grises comme celles des pâles Ténèbres : des ombres et sans doute aussi des hommes ; mais des ombres rouges.

(...)

Mais, parvenus à ce point de notre récit, vous pourriez vous demander – même si cette question pourrait apparaître comme superflue après tout ce qui vient d'être dit – pourquoi Francesco s’était obstiné à chercher dans un cinéma ce qu’il pouvait sans doute trouver ailleurs ? Que pouvait donc offrir le cinéma à un employé de banque de vingt-deux ans ? Le Splendor, cet amphithéâtre ample et clair, quel ressort secret de l’âme de Francesco pouvait-il actionner, quelle corde de son cœur pouvait-il faire résonner ? La réponse est simple : il n’osait rien en dehors de cette intimité ; c’était l’intimité du cinéma, c’était ce silence, la possibilité de se rapprocher sans parler qui non seulement lui laissaient espérer un assouvissement plus aisé qu’ailleurs, mais constituaient aussi une puissante source d’excitation. Comme c’était aussi le cas pour d’autres, l’ambiance du cinéma, cette obscurité incomplète, cette lumière obscure – si l’on veut bien nous passer cette expression – agitaient en lui les sentiments les plus secrets... D’autres encore ont besoin de la nuit des parcs pour découvrit une semblable intégrité de leurs propres sentiments et pour les révéler à eux-mêmes... d’autres encore cherchent d’autres lieux... Mais pour Francesco, c’était le cinéma qui offrait confort et espoir. Ce n’était pas un espoir calme, plutôt inquiet au contraire ; mais justement, cette inquiétude était déjà, au moins un peu, consolatrice parce qu’il trouvait en elle un premier – et souvent même unique – assouvissement : c’était déjà le cas quand il tendait à l’ouvreuse distraite son billet, ou quand, l’hiver, il ôtait son manteau avant de pénétrer dans la salle de projection ; juste avant d'entrer dans l’obscurité. Franchir le seuil de l’une de ces portes, c’était comme tenter de franchir en même temps les portes du Paradis et de l’Enfer : en cette  mer étale de corps noyés dans l’ombre et dans un silence insensé : parmi eux, il le découvrirait peut-être, lui, l’Inconnu ; ces corps muets, vraiment troublants, ces visages un peu sinistres ; et là-haut, par-delà les vagues amples et légères de la fumée des cigarettes, la lumière lointaine de l’écran ! Quel écrivain pourra un jour faire comprendre ce que signifiait pour Francesco, et pour des milliers de gens comme lui, la fascination terrible, et disons-le, folle, de l’entrée, après l’éclat de toutes ces rues et couloirs illuminés, dans la salle de projection ? Le cinéma est – et ici le mot vient spontanément sous la plume – une jungle dont il faut explorer chaque arbre, en prenant garde aux lianes capables d’entraver l'explorateur trop confiant, aux tendres petits serpents et aux cobras venimeux qui pourraient lui enserrer les jambes. Quels sentiers pourra-t-il inventer – plus que découvrir – pour arriver au port inconnu et imprévu, et pourtant si intensément attendu ? Tiens, voilà un visage qui semble moins concentré que les autres, et à côté de lui, la place est libre : voyons, est-ce qu’il se tourne un peu ? A-t-il remarqué le jeune homme anxieux, le craintif jeune homme de vingt-deux ans ? Non, on dirait qu’il regarde attentivement l’écran. Mais observons encore : il faudrait qu’à un moment donné il détache son regard de là-haut, qu’il fasse un geste, qu’il bouge au moins un bras, qu’il allume une cigarette et cesse au même moment de fixer l’écran, pour se tourner enfin vers... Mais voilà, il s’est tourné, en effet, et sans allumer de cigarette, comme attiré par une volonté puissante ; et il regarde, mais à peine, hélas ! Plusieurs secondes s'écoulent (ou seulement quelques unes ?) : il change de position sur son fauteuil et – voilà, encore une fois, il se tourne vers... Serait-il l’Inconnu ? Ou un mirage trompeur ? Car à présent, il semble bien que la jungle se soit transformée en désert. Les autres corps ont momentanément disparu et là où auparavant s’enchevêtraient des touffes d’herbe et des lianes, il n’y a plus que la solitude : la seule oasis, c’est ce visage. 
Et alors, c’est là qu’il faut s’asseoir, à côté de lui. 
Vous comprenez maintenant pourquoi un cinéma peut être fascinant pour beaucoup de gens, et comment il pouvait apparaître aux yeux de Francesco. 

(Traduction personnelle)






Images : en haut, Andrea Pavan (Site Flickr

au centre,  Andrea Fanelli  (Site Flickr)

en bas, Site Flickr

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Et Santi est aussi l'auteur d'un très beau "Journal". Par exemple :

      «Le vie di questi anni sono sempre più oscure, nel ricordo : notturne, piovose o caldissime ; ed io e lui accanto, muti, staccati o uniti col braccio, a trepidare di qualche voce lontana, di un canto che si alzasse dalle siepi di un giardino o di un fischio. (Ricordi, Ottone, le tre note modulate di Piazza Mentana che poi riscoprimmo eguali alzarsi una notte in Piazza Santa Maria Novella ?). Non vi è dolcezza in questi ricordi, anche se fu il tempo della nostra amicizia più delicata. I nostri spiriti si avvicinavano probabilmente in nome del loro dolore, oltre ogni più consueta comprensione.»

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