Aujourd’hui, le nom de Bresson est devenu un emblème, une entité, une sorte de manifeste cinématographique de la rigueur poétique. Être bressonien signifiait, pour moi et mes amis, tendre vers l’idéal moral, inatteignable, sublime et mortifiant de l’ascèse cinématographique. Je parle d’idéal mortifiant parce que ses films sont toujours de fortes expériences sensuelles privées d’exutoire (autre qu’esthétique, lequel est d’ailleurs en lui-même une source de plaisir intense).
Un jour, j’appris que Bresson était à Rome pour participer à un colloque au Centre expérimental de cinématographie. Je m’y suis précipité, arrivant au beau milieu de son intervention. Debout derrière un mur d’étudiants, je ne parvenais à voir que la couronne blanche et immaculée de ses cheveux, qui bougeait lentement. Il n’a jamais utilisé la parole "cinéma", parlant toujours de "cinématographe". Tout le reste relevait du théâtre filmé. En face de lui, je tremblais d’admiration. Était-ce en 1964 ou en 1965 ? Je me souviens que cet après-midi-là, Mauro Bolognini m’invita à un dîner organisé en l’honneur de Bresson, qui se trouvait en fait à Rome depuis plusieurs semaines pour y préparer le tournage d’un épisode de La Bible, un film produit par Dino de Laurentiis, avec plusieurs metteurs en scène. Bresson avait pour sa part choisi de réaliser l’épisode de L’Arche de Noé. Avant de me présenter à lui, Bolognini me dit que Bresson était d’assez mauvaise humeur, et il m’en expliqua la raison. Ce matin-là, pendant que Bresson intervenait au colloque, Dino de Laurentiis s’était rendu sur le plateau du tournage et y avait vu de grandes cages contenant des couples d’animaux sauvages : deux lions, mâle et femelle, deux girafes, mâle et femelle, deux hippopotames, mâle et femelle, et ainsi de suite... Quelques heures plus tard, Dino avait exprimé sa grande satisfaction à Bresson en lui disant qu’il était fier d’être le seul producteur au monde à avoir réussi à convaincre le grand Maître de participer à un film spectaculaire, à fort potentiel commercial. «En ce qui concerne les animaux, on ne verra que leurs traces sur le sable», murmura Bresson à Dino. Une heure après, son contrat était annulé.
Bernardo Bertolucci La mia magnifica ossessione Garzanti ed. 2010 (Traduction personnelle)
Je suis heureuse de revoir une séquence de ce beau film de Bresson. Cet âne si doux qui semble regarder, là, les animaux du cirque, ailleurs, les enfants puis les hommes qui le feront tant souffrir. Marie et lui, deux êtres purs, saisis par la grâce qui passent sans juger, juste en posant un regard innocent sur un monde de plus en plus cruel. ils en mourront comme si leur présence était devenue intolérable à ceux qui les entourent. Film pessimiste et bouleversant, d'une rare beauté. C'est bien, ici....
RépondreSupprimer"Au hasard Balthazar" è un film importante per l'anno 1966, riferimento citato per Antoine Compagnon nel suo seminario "1966: annus mirabilis".
RépondreSupprimerChristiane et Arlette : je partage votre sentiment sur ce merveilleux film qu'est "Au hasard Balthazar". Je me permets de vous recommander, si vous ne le connaissez pas déjà, la lecture du très beau récit d'Anne Wiazemsky "Jeune fille" (je crois qu'il est maintenant en Folio), dans lequel elle évoque le tournage du film. C'est vraiment un témoignage rare et passionnant sur le travail de Bresson, et ses rapports contrastés avec ses "modèles".
RépondreSupprimerGrazie Emmanuel, ma ho letto questo libro perché mi piace Anne wiazemsky.
RépondreSupprimer