Mantoue, hôtel des Deux-Guerriers, lundi 16 août, minuit et quart. Je suis trop fatigué pour aller bien loin ici dans la relation de nos errances. Hier soir nous sommes retournés à Canossa, dont nous avions été frustrés par la nuit deux jours plus tôt, quoique nous eussions dîné alors dans une auberge voisine du village. Le site et son nom, curieusement, ont dû garder une grande signification pour les Allemands, car la salle de restaurant arborait de grandes photographies de diverses époques montrant des groupes teutoniques – je crains que ce ne soit le mot juste – en pèlerinage sur les lieux, sans doute sur les traces du malheureux Henri IV.
Je me souviens d’avoir vu à Florence, il y a vingt ans, dans le magnifique théâtre de la Pergola, Giorgio Albertazzi dans la pièce de Pirandello. Je ne suis pas sûr que la production ait été exceptionnelle, elle m’a peu marqué – mais l’acteur, lui, était admirable. Quant à la pièce elle-même, je ne serais pas étonné qu’elle soit l’une des plus hautes et des plus fortes que le vingtième siècle ait produites. Et pour ma part, j’échangerais volontiers tout Brecht contre la moitié de Pirandello.
A notre deuxième passage sur la hauteur mythique il était un peu moins tard, le soleil en était seulement à se coucher. L’accès au sommet n’était plus possible, hélas – d’ailleurs je n’avais pas compris que dans la journée on pouvait y accéder, sans quoi nous nous serions présentés là plus tôt. Mais nous avons marché dans les prairies environnantes, et même nous y sommes étendus. Et il me semblait alors, tant j’étais heureux à Canossa, tant le soir était beau, l’air transparent, l’herbe accueillante, les pierres mêmes amicales, aurait-on dit, qu’il était peu de lieux de résidence plus désirables, sur la terre, que ce rocher chargé d’histoire et coiffé d’acacias, qui domine toute la plaine du Pô.
Il regarde aussi le grand arc des Alpes : et si claire l’avancée de la nuit, ce soir-là, qu’on distinguait presque toutes les crêtes, de celles qui surplombent Pignerol ou Saluces jusqu’aux premières Dolomites.
A l’emplacement du château où vint s’humilier l’empereur, il ne se dresse qu’une maison basse, moderne sans doute, et qu’on voit mal du pied de la falaise. Elle paraît être peu de chose. Or elle n’a pas besoin d’être davantage, tant on doit y marcher dans l’intimité du ciel et des siècles, pour peu qu’on y songe, en ce carrefour d’Europe où se sont défiées les Puissances, les âges, les futurs, les conceptions du monde.
Renaud Camus Retour à Canossa, Journal 1999 éditions Fayard, 2002
Henri IV : lol !!
RépondreSupprimerBonne année Emmanuel, je perds la tête et je ne sais plus si je vous ai présenté mes voeux les plus sincères.
Longue vie à ce blog qui m'émeut et me fait rire souvent.
Bonne année à vous, Valérie, et merci de votre visite !
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