"C'était dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i."
Ce texte de Bruno Barilli est paru dans le magazine Star, le 30 juin 1945 ; il a été repris dans le recueil de chroniques cinématographiques Lo Spettatore stralunato [Le Spectateur égaré] (Pratiche Editrice, 1962).
Cinquanta e più anni fa cadde il campanile di San Marco. Cadde, anzi sparì addirittura, calò, su se stesso, come un paio di brache, dalla cima, o dalla cintola, in giù — crollato su due piedi — discretissimamente, silenziosamente, miracolosamente — e in un batter d’occhi travolto tutto in una precipitosa dissolvenza.
***
La cosa non sappiamo se successe di notte, di sera, o di mattina. Supponiamo che fosse d’estate, stagione propizia ai cataclismi. Tuttavia io non c’ero in Piazza San Marco quando cadde così il campanile ; ma ero già di questo mondo forse da un paio di lustri. E se io di presenza non c’ero, e non c’era neanche nessuno (tant’è vero che vittime non ci furono), unico testimone, c’era forse la luna ? È qui che andiamo a parare in pieno cinematografo.
***
Fatto sta che il campanile non c’era più — niuna traccia di lui — nemmeno la sua ombra portata. Così sulla piazza non c’era rimasto niente. Ma c’era ancora il campanile nel Baedeker — (la guida autorevole, senza la quale, non c’è neanche l’Italia).
Quand’ecco, su Venezia si leva un altissimo grido di dolore veneziano — e a quello rispose da Londra un «Oh» di tenero e imperiale disappunto della buona Regina Vittoria.
***
E allora gli Inglesi volendo che il campanile ritornasse onestamente al suo posto, promossero insieme agli italiani, la famosa sottoscrizione. — E si vide la torre di San Marco, raddrizzarsi, di tutta la sua mole ; le campane sbucate dalle macerie, raggiungendo senza frastuono, a pie’ pari, la loro trave, e il loro livello, nella loggia campanaria, ricomposta mattone su mattone, schizzati insieme alle tegole, dal suolo dove giacevano, alla giusta altezza. Finché la ricostruzione poteva dirsi finita, perfetta ! Pensate al miracolo : un campanile polverizzato, andato in fumo, risorto sul suo stesso fondamento tal quale era prima. L’assoluta identità.
Bruno Barilli Lo spettatore stralunato Pratiche Editrice, Parma 1982
Il y a plus de cinquante ans, le campanile de Saint-Marc s’effondra. Il s’effondra, ou plutôt il disparut, il s'abaissa, comme un pantalon, du sommet, ou de la ceinture, à la base — il s’écroula en un éclair — discrètement, silencieusement, miraculeusement — et en un clin d’œil il fut tout entier emporté comme dans un brusque fondu enchaîné.
***
Je ne me souviens pas si l’événement eut lieu la nuit, dans la soirée ou au petit matin. Je suppose que
c’était en été, saison propice aux cataclysmes (1). Toutefois, je ne me trouvais
pas sur la place Saint-Marc quand le campanile s’écroula ; mais j’étais
déjà de ce monde depuis peut-être deux lustres. Et puisque ni moi ni personne d’autre
n’était présent à ce moment-là (on ne déplora d’ailleurs aucune victime), on
peut supposer que l’unique témoin fut la lune : et ainsi, nous nous
retrouvons au cinéma, dans un grand film.
***
Une chose est certaine : le campanile
avait disparu ; plus aucune trace de lui, pas même son ombre portée. Ainsi, il ne
restait plus rien sur la place ; mais le campanile existait toujours dans
le Baedeker, le guide de référence, sans lequel l’Italie elle-même n’existerait pas.
Et sur Venise se leva un immense cri de douleur vénitienne — et à ce cri
répondit depuis Londres le «Oh» de tendre et impérial désappointement de la
bonne reine Victoria (2).
***
Alors, les Anglais, souhaitant que le campanile retourne
honnêtement à sa place, lancèrent avec les Italiens la fameuse souscription. Et l’on
vit la tour de Saint-Marc se redresser, de toute sa masse imposante ; les
cloches extraites des décombres rejoignirent sans embarras leur support et
leur logement dans le clocher reconstruit brique par brique, les unes après les autres propulsées, depuis le sol où elles gisaient avec les tuiles, à leur juste hauteur.
Jusqu’au moment où la reconstruction put être considérée comme parfaitement
achevée ! Ce fut un vrai miracle : un campanile pulvérisé, parti en
fumée, ressuscité sur ses propres fondations, tel qu’il était
auparavant. Exactement identique.
(Traduction personnelle)
(1) L'effondrement du campanile de Saint-Marc a en fait eu lieu le 14 juillet 1902, à dix heures du matin. (NdT)
(2) Barilli fait ici une erreur historique : la reine Victoria était morte depuis un an et demi quand le campanile s'est effondré. (NdT)
(1) L'effondrement du campanile de Saint-Marc a en fait eu lieu le 14 juillet 1902, à dix heures du matin. (NdT)
(2) Barilli fait ici une erreur historique : la reine Victoria était morte depuis un an et demi quand le campanile s'est effondré. (NdT)
Quelque chose s'était retiré.On aurait pu ne plus y penser, qu'il ne soit plus rien. Fallait-il entrer dans son absence ou laisser faire l'oubli ? L'absence est plus réelle parfois que la présence...
RépondreSupprimerLes Vénitiens ne se résignent pas à l'absence : pas très loin du campanile de San Marco, la bien nommée Fenice en est déjà à sa deuxième résurrection...
SupprimerSe résigner à l'absence ou la combattre en essayant de reconstruire ce qui a été détruit... Une âme du passé s'est envolée. Du neuf en sera la mémoire mais ce qui a été n'est plus. Il faut oser, je crois, affronter la perte et la respecter sans la colmater par de fascinantes reproductions. Le travail de deuil, c'est affronter la mort, la disparition, la séparation les yeux dans les yeux.
SupprimerJe comprends ce que vous essayez de justifier mais j'avance avec mes pertes. Il reste le souvenir puis... l'oubli.
Remarquable le documentaire!
RépondreSupprimerMerci pour ce moment matinal aux côtés de la Marangona
M de Sclos
Merci à vous de votre passage ! Le documentaire montre de très beaux documents et est dans l'ensemble fort instructif, mais le commentateur est tout de même très partial et plutôt exalté, je ne suis pas persuadé que toutes les informations qu'il donne soient vraiment fiables. J'ai par exemple beaucoup de doutes sur l'authenticité de l’enregistrement où l'on entend le pape Pie X s'exprimer en vénitien ; on se croirait vraiment en plein vaudeville, et le pape termine en demandant à sa "perpetua" (servante) de lui donner un baiser !
SupprimerVous êtes drôle, Emmanuel. Vous précisez que le documentaire est en italien mais les seules voix qu'on entend ce sont celles des cloches. Elles n'ont pas besoin de traducteur !
RépondreSupprimerVotre histoire est belle (un peu celle de Sisyphe). Ce campanile semble très symbolique pour les vénitiens. Les cinq cloches ont-elles des rôles précis ?. Quant à la photo montrant le campanile en train de s'écrouler, que l’on voit très souvent, elle ne serait en fait qu’un montage photo de Antonio de Paoli. La place était vide lors de la catastrophe et aucune photo n’aurait été prise de l’événement. Il n'y aurait eu qu'une seule victime : le chat du gardien...
Il y a ici un petit malentendu, chère Christiane : pour accéder au documentaire en italien, il faut cliquer sur le lien ; la petite vidéo ci-dessus est une sorte de petit bonus qui permet simplement d'entendre les cloches du campanile.
SupprimerChaque cloche porte un nom et joue une note particulière, la plus grosse est la Marangona, c'est celle qui à la fin joue la toute dernière note, l'"amen". On la voit sur la photo juste au-dessus de la vidéo ; je crois que c'est la seule cloche que l'on a retrouvée pratiquement intacte parmi les décombres.
Oui, les photos de l’écroulement sont bien sûr d'astucieux montages ; aucun appareil n'aurait permis à l'époque de prendre ce genre d'instantané, et de plus l'effondrement n'a semble-t-il pas eu de témoin direct (en l'occurrence ce fut l'un des avantages de la grasse matinée !).
Ah, je comprends mieux !!! merci, cher Emmanuel. Il est vrai que nos désirs sont différents quand on évoque la destruction d'un monument. Tout ce que j'exprimais concernait d'autres écroulements d'un autre ordre... tellement ravie d'ouvrir votre blog, chaque matin et d'y découvrir ces incroyables cheminements.
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