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samedi 5 octobre 2013

Regina della notte (Reine de la nuit)




Après Roma sonora, voici un deuxième extrait de l'ouvrage de Bruno Barilli Lo Stivale [La Botte], recueil d'articles où il raconte ses voyages à travers toute l'Italie. Nous le retrouvons ici dans un train de nuit le long de la Riviera ligure, de San Remo a Gênes. Derrière la vitre de son compartiment, il regarde défiler cette Côte d'Azur endormie, sous la clarté lunaire. On verra que l'évocation prend peu à peu un tour poétique, mélancolique et quasiment léopardien (ou peut-être plutôt dannunzien). Le texte date du début des années quarante [1940] ; la précision est importante pour saisir les allusions à la "lune de guerre" et à cette nuit oppressante qui était alors tombée sur l'Italie et sur toute l'Europe. On verra que le musicien Barilli cite la "Reine de la nuit", mais on peut aussi penser à l'invocation du chœur au premier acte de Turandot, à cette lune "tête coupée", "pâle visage", astre blafard dont les cimetières attendent la clarté funèbre...

Se in pieno giorno, lungo questa spiaggia sembra non esserci posto abbastanza per tante città e borgate. Le capitanerie dei porti, i velieri, le balaustre, i pennoni che portan su le bandiere fino alle prime stelle. Le finestre incassettate delle rocche diventate prigioni, vecchi platani, gli elci fitti, le panche gremite di folle domenicali ; serrata, pretenziosa e ingombrante la civetteria di certe stazioni, addirittura convulse di esibizionismo — oltre le quali il mare, in pieno meriggio, si stende sgombro, aperto e senza confine visibile sino all’orlo dell’incerto orizzonte : così estraneo al nostro mondo e sterminato, che t’invita e ti fa paura. 

Ma di notte è il mare che soffre più di noi. 
Il Tirreno in quest’ora serale ha l’alta marea, tutto gonfio di nausea va in preda a una euforia lunare. 
E la costa, diradata e stecchita, s’impenna a cavalluccio qua e là, si sfascia, fluttua e scompare. 
C’è un respiro nella silente atmosfera che fomenta le più strane, le più fiere illusioni e fa venir le traveggole. 
È la luna d’agosto, che insegue man mano il mio treno — brillante, angosciata, purissima — perfida, austera, impassibile. Una luna spaventosa e raggiante : regina della notte. 
È un lambicco che filtra lassù l’immensa solitudine. 
Luna di guerra, dalla livida faccia che ha fatto fuggire le stelle, tutte le stelle liquefatte. L’umido cielo è rimasto allibito, e invaso da una letale telepatia planetaria. 
Regina della notte, la innocente luna, il cielo è tutto buio. E sta per scoccare il suo dardo. L’aculeo che già senti nel cuore. 
Tutto è soave e magico. 
Forse è l’ora di morire — pensi — e provi uno strano piacere. 
Allora in un naufragio di malinconia sul passare del nostro treno di tenebre s’inabissa da cima a fondo il fluido paesaggio italiano.

Bruno Barilli  Lo Stivale  Editori Riuniti, 2002 






En plein jour, le long de cette plage, il semble ne pas y avoir suffisamment de place pour tant de villes et de bourgs. Les capitaineries des ports, les voiliers, les balustrades, les hampes qui hissent les drapeaux jusqu’aux plus proches étoiles. Les fenêtres enchâssées dans les forteresses devenues prisons, les vieux platanes, les chênes touffus, les bancs où se pressent les foules dominicales ; la coquetterie corsetée, prétentieuse et embarrassante de certaines stations balnéaires, d’un exhibitionnisme vraiment convulsif, au-delà desquelles la mer, en plein midi, s’étend librement, ouverte et sans limite visible jusqu’au bord d’un horizon incertain : si étrangère à notre monde et infinie qu’elle t’invite et te fait peur. 

Mais la nuit, c’est la mer qui souffre plus que nous. 
À cette heure du soir, la mer Tyrrhénienne est à marée haute ; toute enflée de nausée, elle est en proie à une euphorie lunaire. 
Et la côte, mise à nu et sidérée, se cabre ça et là comme une monture, s’abîme, flotte et disparaît. 
Il y a un souffle dans l’air silencieux qui fomente les plus étranges, les plus fières illusions et fait naître des mirages. 
C’est la lune d’août, qui poursuit mon train tout au long de son trajet — brillante, angoissée, absolument pure — perfide, austère, impassible. Une lune effrayante et rayonnante : la reine de la nuit. 
C’est un alambic qui distille là-haut l’immense solitude. 
Lune de guerre, dont la face livide a fait fuir les étoiles liquéfiées. Le ciel humide est demeuré interdit, et frappé d’une létale télépathie  planétaire. 
Reine de la nuit, l’innocente lune, dans l’obscurité du ciel. Et elle s’apprête à décocher sa flèche. L’épine que tu sens déjà dans ton cœur. 
Tout est suave et magique. 
Tu penses qu’il est peut-être l’heure de mourir et tu éprouves un étrange plaisir. Alors, sur le trajet de notre train de ténèbres, le fluide paysage italien sombre tout entier dans un naufrage de mélancolie. 

(Traduction personnelle








Images : grazie a Lollo  (Site Flickr)




2 commentaires:

  1. Ce texte est magnifique mais injuste.
    Jung dit d'elle : « la lune, c’est cette lumière continuellement changeante dans la nuit, la sphère nocturne de l’expérience humaine. »
    Pour moi elle est douce et féminine. Quand je la regarde je me plais à penser qu'une amie lointaine la regarde au même moment. Douceur...

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  2. Merci pour ce bon moment d'évasion.
    Cordialement

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