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mercredi 9 octobre 2013

Una cantante (Une chanteuse)




Dans le texte que je cite ici, Bruno Barilli évoque une représentation du Barbier de Séville à laquelle il a assisté en 1919 au Théâtre Costanzi (l'Opéra de Rome). Il a d'abord retenu de cette soirée la Rosine brillante et espiègle de la grande chanteuse espagnole Elvira de Hidalgo, qui fut l'une des plus célèbres interprètes du rôle. Il est difficile pour nous aujourd'hui d'imaginer cette Rosine, dont quelques photographies et un enregistrement (de 1909 !) ont tout de même conservé la trace fragile et précieuse. Nous nous souvenons plutôt d'Elvira de Hidalgo telle qu'elle apparaissait en 1969 dans l'émission L'Invitée du dimanche consacrée à Maria Callas dont Elvira fut le professeur au Conservatoire d'Athènes pendant la guerre (1939-1945). On y voyait une dame corpulente de près de quatre-vingts ans, fumant allègrement la cigarette et se souvenant avec admiration de sa prodigieuse élève
On peut être surpris par sa voix de soprano colorature dans un rôle où l'on est plutôt aujourd'hui habitué à entendre des mezzos, mais malgré ses imperfections, l'enregistrement conserve un peu de la fraîcheur, de la grâce et de la légèreté qui devaient ravir les spectateurs et dont témoigne ici Barilli. Je place à la suite du texte un autre enregistrement de 1909 où Elvira de Hidalgo interprète l'air de Dinorah (Ombra leggera), en se jouant avec une insolente et déconcertante facilité de ses périlleuses vocalises.

Come il Dio volante di Michelangelo crea, con un gesto lieve che sfiora, il primo uomo sulla terra, così papà Rossini, questo mostro di pigrizia e di genio, nell’eccelso e onnipotente attimo della verve, con un soffio amoroso spinto entro il tessuto impalpabile di una visione, dà lo sguardo, la voce e il sangue miracoloso a Rosina, oggi, allo "stato civile", Elvira de Hidalgo.

Elvira de Hidalgo è pur la figlia del grande pesarese. Lo dice quel ventaglio che ella muove con destrezza gentile a nascondere il proprio volto, quel ventaglio tremulo e vivo come l’ala di una farfalla, lo dice quella sua rara moue d’un comico antico da théâtre des bouffes, e la melanconia, lo dice, della sua voce all’ultima scena notturna, allorquando, deposta lì in terra, accesa, la lanterna delle avventure galanti, splende l’amaranto della sua crinolina di broccato ed ella esprime in tono di languore l’incantevole sospiro d’esser presa e protetta nell’ombra calorosa di un epilogo matrimoniale.

Al suono innocente della sua voce che ha un timbro pallido e tenero come l’argento, ricadono stroncate le mani minaccianti della critica e si spianano i volti più sconvolti ; note umili e ridenti spiccano il volo dalla sua gola e si librano in giri per la sala come colombe bianche che rechino nel becco il ramo d’ulivo. Un imbarazzo dolce conquista anche i più burberi controllori. Ella gorgheggia e smorza il suono nel silenzio con una gemebonda malinconia che pare un’eco della meraviglia o la fine di un colloquio infantile tenuto con la luna. Il gesto delle sue dita di zucchero è pieno di candore e di moina e nel suo canto c’è la mansuetudine, il pudore, il capriccio e l’inquietudine della più casta e volubile bambina.

Bruno Barilli  Delirama, Vallecchi Editore, 1963






Comme le Dieu volant de Michel-Ange crée, avec un geste léger qui effleure, le premier homme sur la terre, ainsi papa Rossini, ce monstre de paresse et de génie, dans le sublime et tout puissant instant de la verve, avec un souffle amoureux traversant le tissu impalpable d’une vision, donne le regard, la voix et la vie miraculeuse à Rosine, aujourd’hui, à l’ "état civil", Elvira de Hidalgo.

Elvira de Hidalgo est vraiment la fille du grand homme de Pesaro. Cet éventail qu’elle manie avec adresse pour cacher son visage le prouve, cet éventail frémissant et vivant comme l’aile d’un papillon. Et le prouvent aussi cette moue d’un comique ancien de théâtre bouffe, et la mélancolie de sa voix dans la dernière scène nocturne, lorsqu’elle dépose par terre la lanterne allumée des aventures galantes ; sa crinoline de brocart amarante resplendit, et elle exprime de façon langoureuse le désir enchanteur d’être emportée et protégée dans l’ombre chaleureuse d’un épilogue matrimonial.

Au son innocent de sa voix au timbre pâle et tendre comme l’argent, les mains menaçantes du critique retombent impuissantes et les visages bouleversés s’apaisent ; des notes humbles et rieuses s’envolent de son gosier  et planent en tournoyant dans la salle comme des colombes blanches portant dans leur bec un rameau d’olivier. Un doux embarras gagne les contrôleurs les plus bourrus. Elle roucoule et atténue le son jusqu’au silence avec une plaintive mélancolie qui semble un écho de l’émerveillement ou la fin d’un colloque enfantin avec la lune. Les gestes de ses doigts de sucre sont candides et câlins et il y a dans son chant la mansuétude, la pudeur, le caprice et l’inquiétude de la plus chaste et volubile enfant.

(Traduction personnelle)






3 commentaires:

  1. Le lien le plus étonnant de ce billet est celui concernant Elvira et la Callas. Donc elle se rongeait les ongles. Jamais entendu parler d'elle avec tant de simplicité et d'admiration mêlées. Cette grosse dame tellurique tirant sur sa cigarette est comme une déesse de la terre. Elle aurait pu se nommer Gaïa.
    Les forces chtoniennes se cachent parfois sous l'apparence d'êtres humains bizarres. Ils apparaissent et disparaissent furtivement, toujours de passage... souvent déçus par les humains.

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    1. Très juste, il y a vraiment un lien indéfectible entre Elvira et Callas ; c'est encore vers elle que cette dernière se tournera à la fin des années soixante pour tenter (hélas en vain) de "rééduquer" une voix qui lui échappait, et qu'elle ne retrouvera jamais plus. Il faut voir la fin de cette petite vidéo (les deux dernières minutes), toujours extraite de "L'Invitée du dimanche", où Callas écoute l'enregistrement de 1909 où Elvira chante l' "Ombre légère" de "Dinorah" : tout ce qui passe sur son visage à ce moment-là en dit très long sur le lien qui les unissait.

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    2. Oui, bouleversant... Peut-être se sont-elles retrouvées de l'autre côté du monde...

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