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mardi 2 octobre 2012

Mal de Sienne



 

Le pavé du Dôme donne la mesure de l'amour infini que Sienne nourrit pour la Vierge et de sa passion pour la beauté. Elle compte pour rien la dépense et le génie, cette prodigalité naturelle. Sienne consent à ce qu'on efface du pied les chefs-d'œuvre qu'elle consacre à sa Reine. Sienne cherche la beauté en toute chose pour mieux aimer ; et c'est son insatiable amour qui cherche en tout la forme la plus belle.


André Suarès Sienne la bien aimée







Depuis que j'ai marché là-bas sur les sibylles,
Le remords de l'oracle opprimé de talons
Remonte, c'est mon mal de Sienne, à stades lents
De mon talon mordu par le serpent syllabe
Jusqu'à mon cœur qui branle et mes vouloirs labiles.

Rouge orifice oraculaire horizontal,
O bouche qu'elles font ronde pour dire oracle !
C'est sur elle que j'apposai le pied du siècle,
Foulant l'ovale à moments dorés des Visages
Parmi tant d'Allemands qui n'en ont pas pris mal.

Mais moi je savais trop que mon pas était faute
Et que conculquer perpendiculairement,
Comme faisait d'aplomb tout un car d'allemands,
L'Erythrea couchée en drapé de graffite,
S'expie, et que le verbe écrasé fait venin.

Elles auront collé leur lèvre inoculante
À mon pied parmi le tourisme tout-venant,
La Persique, la Cuméenne à gorge nue
Ou bien Gergis qui narre à travers dôme au ciel,
Et je vague avec leur toxine dans ma rue.

Cette fièvre est savoir, savoir que dans la rue
Rien n'est, le parfum des vivantes ni l'argent
De semblance après quoi délire encor la gent,
Ni les fards mordorés des idoles de boue,
Rien n'est, que le conseil sibyllin de rien n'être,

Rien n'est, que le péché mortel d'être debout
Quand, couchée à son rang dans leur beau nombre douze,
Chaque vierge, de sa plate effigie, étend
L'horizontalité d'où fument les syllabes
Comme parle en vapeurs un sommeil de volcan.

L'édit là-bas des plates douze folles sages
Qu'étale épars un cathédrale jeu de cartes,
L'ordre qui s'insinue en mon sang depuis lors,
C'est d'aller réparer là-bas mon pas coupable
En abjurant notre inanité verticale,

C'est, jusqu'à Sienne, en pénitence de l'outrage,
Pour valoir à mon sang le pardon des vestales,
D'aller, bien lessivé de soleil, recevoir
Leur bouche à bouche mosaïque face à face,
À quatre pattes sur leur pâle jeu de cartes.

Marcel Thiry Le Jardin fixe, Italiques (1969)









Le magnifique pavement du Dôme de Sienne, largement recouvert la plupart du temps par mesure de précaution, est actuellement totalement visible, jusqu'au 24 octobre 2012. (On peut voir ici un beau diaporama).

 

 Images : en haut,  Site Flickr

en bas, Wiki Commons

2 commentaires:

  1. Moi aussi, j'ai le mal de Sienne !

    Beau parcours illustré que ce poème, cher E.F.

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  2. Merci, cher ami ! Je pense que nous sommes très nombreux à pâlir au nom de Sienne...

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