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jeudi 18 octobre 2012

Les Météores




Deux autres passages du Museo d'ombre (Musée d'ombres) de Gesualdo Bufalino, le premier extrait du chapitre Piccole stampe degli anni Trenta (Petites estampes des années trente) ; le second extrait du chapitre Luoghi d'una volta (Lieux d'autrefois) :

LA PIOGGIA

«Gira rigira biondina » cantava mia madre, e cuciva. Io m’incantesimavo alle prosodie della pioggia sul tetto, della piena in mezzo alla strada. Le quali erano in verità tempeste irrisorie, dopo un po’ ne restava solamente, da una crepa nel soffitto, uno sgocciolìo che mia madre chiamava stizzània e combatteva con un bacile smaltato posato sul pavimento. Ne misuravo i rintocchi, ricordo, sul metronomo del mio polso, più categorico allora del suonatore di piatti domenicali nella banda di Pulvirenti. Ma già il sole s’affacciava fra le nuvole, come dopo uno stratagemma felice. Uscendo, l’odore di terra bagnata feriva il cuore con tanta dolcezza che tutta la vita a venire pareva dovesse replicare il successo di quella giornata : acquazzoni da nulla, al mattino, quindi stizzànie di un’ora, quindi il sole per terrazze e balconi, con uccelli a far festa, come nella poesia che avevo imparato a memoria l’altr’anno. Si capisce che poi la vita non è andata veramente così.

Gesualdo Bufalino
Museo d'ombre, Ed. Bompiani

LA PLUIE

« Dansez, valsez, ma belle » chantait ma mère en cousant. Moi, je m’enchantais du rythme de la pluie sur le toit, de la crue qui envahissait la route. Il s’agissait en fait de tempêtes dérisoires ; peu de temps après, il n’en restait, s’écoulant d’une fissure du plafond, qu’un goutte à goutte que ma mère appelait stizzània, et contre lequel elle luttait à l’aide d’une bassine émaillée posée à même le sol. Je me souviens que je mesurais la cadence des tintements sur le métronome de mon pouls, plus régulier en ce temps-là que le préposé aux cymbales dans les concerts dominicaux de la fanfare de Pulvirenti. Mais déjà le soleil se montrait à travers les nuages, heureux du bon tour qu’il venait de jouer. Dehors, l’odeur de la terre mouillée blessait l’âme avec tant de douceur qu’on pouvait presque s’imaginer que toute la vie à venir serait une exacte réplique de cette journée parfaite : le matin, quelques averses inoffensives suivies d’une heure de goutte à goutte, et enfin le soleil sur les terrasses et les balcons, accompagné du chant des oiseaux, comme dans le poème que j’avais appris par cœur l’année précédente. On l’aura compris : plus tard, ce n'est pas vraiment ainsi que la vie s'est déroulée.

(Traduction personnelle)




'I CASI ' Û VIENTU. Le case del vento

Che non si sappia in giro, ma il vecchio catarroso Eolo è qui, in questo crocicchio di campagna, che s’è venuto a nascondere, dopo che vide i suoi scogli invasi da bande di detestabili sub. Ed è qui ancora, a mezzo marzo, quando l’aria va in fregola e ogni sangue esita fra temporale e torpore, ch’egli per pochi professori di lettere e intenditori paganti apre le porte del suo teatro di primavera. Dato che da noi, a primavera, anche le meteore e le ore diventano persone drammatiche, sorprendono come un intrigo a puntate. Senza lesinare un colpo di scena, uno scambio di persona, un dio ex-machina, un’agnizione. Basta mettere il naso fuori, e subito si sente il cielo gonfiarsi e sgonfiarsi di umori tanto imperiosi quanto fuggitivi. Esordisce lo scirocco, altezzosamente, e riempie di sabbia i colletti, di vespe fiacche le soglie. Un minuto dopo, è già libeccio, un malandrino malpelo che t’investe di sbieco e ti butta a cercare riparo nei mancorrenti di ferro. Svolti l’angolo, e ti sorprende dalla Provenza ‘a pruvenza, monotona prefica alle cui lamentele presta orecchio il suicida. Le volti doverosamente le spalle, ma ti afferra sottobraccio il levante, un farfallone amoroso che ruba capelli e cappelli, occhieggia sotto le gonne, impiglia rondini e foglie in trappole di girotondi. Quando infine si fa (pare farsi) la pace, ecco, fuori programma, ‘a viscia, un soffio al quale nessuno punto dell’orizzonte fu patria, ma è nostro, di qui, partorito da un singolare mulinello sul nostro capo, qui ai piedi del monte, dove i carrubi s’azzuffano con le viti della pianura : un gesuita untuosetto, umidiccio, solito maltrattare le ossa dei vecchi e fare impennare i baveri sui colli magri degli adolescenti. Perciò che non si dica in giro, ma è qui che Eolo ha traslocato per sempre, lui e quei quattro scavezzacolli dei venti suoi.

Gesualdo Bufalino Museo d'ombre Ed. Bompiani

'I CASI 'Û VIENTU. Les maisons du vent

Il ne faut pas ébruiter la nouvelle, mais c’est bien ici, dans ce carrefour de campagne, que ce vieux catarrheux d’Éole est venu se cacher, après avoir vu ses rochers envahis par des hordes de détestables adeptes de la plongée sous-marine. Et c’est encore ici qu’à la mi-mars, quand l’air devient moite et que chacun hésite entre orage et torpeur, il ouvre les portes de son théâtre de printemps, au bénéfice de quelques professeurs de lettres et connaisseurs payants. On sait bien que chez nous, au printemps, même les météores et les heures deviennent des acteurs de drame, aussi imprévisibles qu’un feuilleton à épisodes. Ils ne lésinent pas sur les coups de théâtre, les quiproquos, les interventions d’un Deux ex machina, les révélations. Il suffit de mettre le nez dehors et l’on sent aussitôt le ciel enfler et désenfler, sous l’effet d’humeurs aussi impérieuses que fugitives. C’est d’abord le hautain sirocco qui remplit de sable les cols de chemise et de guêpes lasses les seuils des maisons. Une minute plus tard, c’est déjà le tour du libeccio, un coquin mal embouché qui t’attaque par surprise, te forçant à chercher refuge contre quelque rampe de fer. Tu tournes à l’angle et voilà que te surprend le mistral venu de Provence, comme une monotone pleureuse dont les lamentations attirent le candidat au suicide. Tu lui tournes justement le dos, mais c’est alors le vent d’est qui te prend par le bras, tel un amoureux papillonnant qui chipe cheveux et chapeaux, glisse un œil sous les jupes, entraîne hirondelles et feuilles dans les pièges de ses rondes. Quand enfin la paix revient (ou semble revenir), voici, hors programme, ce vent froid apatride et pourtant bien de chez nous, né d’un singulier tourbillon au-dessus de nos têtes, ici même, au pied de la montagne, là où les caroubiers se querellent avec les vignes de la plaine : il ressemble à un jésuite mielleux et moite, qui se complait à maltraiter les os des vieillards et à faire remonter les cols de veste sur les cous maigres des adolescents. Donc, il ne faut pas que cela se sache, mais c’est bien ici qu’Éole s’est définitivement installé, lui et ses quatre vents intrépides.

(Traduction personnelle)






Images
: en haut, Site Flickr

au centre et en bas, Carlo Columba (Site Flickr)


4 commentaires:

  1. Pour le premier texte, c'est probablement le point commun de chaque grand auteur : savoir parler de choses simples avec des mots et des adjectifs simples.Tout ce qui est écrit dans ce texte, nous l'avons tous vécu à un moment de notre vie.
    Le deuxième point commun c'est le pouvoir de transformer la triste réalité en une poésie merveilleuse. Comment définir le sirocco avec un autre adjectif que hautain ? Magnifique!
    ps : si je puis me permettre le terme est" Deus-ex machina ".
    ps 2 ; connaissez-vous "le Buffet" de Primo Levi?

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    1. Merci de ce commentaire ! Bufalino est effectivement un grand écrivain, hélas trop méconnu en France, bien que presque tous ses livres y aient été traduits...

      Je n'ai pas lu cette nouvelle de Primo Levi ; je crois qu'elle figure dans le recueil de nouvelles posthume "L'ultimo Natale di guerra" ? Y a-t-il un lien avec ces textes de Bufalino ? (J'ai corrigé le "Deus ex machina", je m'en étais tenu à l'orthographe italienne, mais après vérification, il n'y a pas de tiret dans l'expression telle qu'elle figure dans les dictionnaires français).

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  2. Non, il n'y a pas de relation entre les deux textes si ce n'est l'intelligence et l'humour. Mon seul but reste de faire partager (vous savez de quoi je parle, bien sur)
    La nouvelle figure bien dans le recueil "dernier Noël de guerre". Je n'ai lu que celle-ci dans un numéro de 2002 de la Nrf, traduite par Nathalie Bauer.Je l'aime beaucoup car elle donne une autre image de Primo Levi. (extraits sur mon blog)
    Pour compléter mon commentaire sur les adjectifs, je me suis souvenu d'une phrase de Borges : " les adjectifs surprenants sont une erreur."
    Enfin, le fameux Deus ex machina est un peu mon gagne pain, moi qui tente d'enseigner l'écriture de scénario.
    ps: il faut penser à rebaptiser ce blog au plus vite. Que pensez-vous de "Spazio di libertà" par exemple?

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    1. J'ai été chez vous lire ces extraits et je voulais vous laisser un message, mais votre filtre antispam a obstinément refusé de le laisser passer (et pourtant je m'y suis repris à trois fois...) Je disais que le début me semblait très kafkaïen, et je rappelais que Primo Levi était aussi le traducteur du "Procès" en italien.

      J'en profite pour indiquer le lien sur votre blog pour les lecteurs curieux de découvrir ce beau texte de Primo Levi : c'est ici.

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