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lundi 15 octobre 2012

Pour la dernière fois


 
"AMICO – Ho letto il vostro libro. Malinconico al vostro solito.
 
TRISTANO – Sì, al mio solito.
 
AMICO – Malinconico, sconsolato, disperato ; si vede che questa vita vi pare una gran brutta cosa.
 
TRISTANO – Che v’ho a dire? Io avevo fitta in capo questa pazzia, che la vita umana fosse infelice."
Giacomo Leopardi  Operette morali, Dialogo di Tristano e di un amico


"L'AMI – J'ai lu votre livre. Mélancolique, comme d'habitude.

TRISTAN – Oui, comme d'habitude.

L'AMI – Mélancolique, désolé, désespéré. On devine que cette vie vous fait vraiment horreur.

TRISTAN – Que voulez-vous que je vous dise ? J'avais en tête cette folie, que la vie humaine est malheureuse."

Giacomo Leopardi  Petites œuvres morales, Dialogue de Tristan et d'un ami






En guise de petit supplément illustré à ma "lecture léopardienne" de Loin, le très beau roman de Renaud Camus  :

Il faut tout regarder, et tout lire, comme si c'était pour la dernière fois. Ne nous disons pas que nous avons du temps, car nous n'en avons pas. Si par extraordinaire ce n'était pas nous, qui allions mourir, ce serait cette femme un moment rencontrée qui disparaîtrait sans trace, ce village qui serait rejoint par la banlieue et noyé en elle, cette langue qui bientôt ne serait plus comprise par personne, ces lignes qui jamais ne retrouveraient l'éclat et la singularité qu'elles revêtaient sous un premier regard. Et Jean trouvait tant de pouvoir et d'efficacité à cette conviction qui lui était venue qu'il convient de voir les choses, et les êtres, et les phrases, et les lieux, avec la pensée que nos yeux ne tomberont pas de nouveau sur eux, qu'à ce visage ou ce paragraphe on ne reviendra pas, qu'eux ou nous s'effaceront avant toute possibilité de nouvelle rencontre, qu'il se forçait à faire comme s'il devait en aller ainsi dans tous les cas alors que bien souvent, le plus souvent peut-être, c'était l'inverse, la répétition, les retrouvailles, la remontée de l'expérience à la surface de la sensation, qui étaient le plus vraisemblable. Rompre était devenu pour lui comme une drogue très puissante, dont les effets le plongeaient dans une exaltation si précieuse à ses yeux, une si vibrante sérénité, que toute arrivée quelque part, dans une chambre, un chapitre, le plus insignifiant échange, était illuminée de l'intérieur, éblouie, transcendée par le départ qu'elle impliquait si fort qu'il finissait par se confondre avec elle et par la submerger. De tout ce qu'il découvrait il se disait :
« Ah ah : voici donc ce que je vais quitter. »

Renaud Camus  Loin  Editions P.O.L, 2009








Un écho léopardien à ce passage :

Anzi è certo che lo stato naturale è il riposo e la quiete, e che l'uomo anche più ardente, più bisognoso di energia, tende alla calma e all'INAZIONE continuamente in quasi tutte le sue operazioni. Osservate ancora che la vita metodica era quella dell'uomo primitivo, e la più felice vita, non sociale, ma naturale. Osservate anche oggidì l'impressione che fa l'aspetto di essa vita rurale o domestica, nelle persone più dissipate, o più occupate, e com'ella par loro la più felice che si possa menare. È vero che ella ordinariamente è tale quando consiste in un metodo di occupazioni, e tale era nei primitivi, e nei selvaggi sempre occupati ai loro bisogni, o ad un riposo figlio e padre della fatica e dell'azione. Ma in ogni modo l'uomo avvezzandosi anche alla pura inazione, ci si affeziona talmente che l'attività gli riuscirebbe penosissima. Si vedono bene spesso de' carcerati ingrassare e prosperare, ed esser pieni di allegria, nella stessa aspettazione di una sentenza che decida della loro vita. Dove anzi l'imminenza del male, accresce il piacere del presente, cosa già osservata dagli antichi (come da Orazio), anzi famosa tra loro, e provata da me, che non ho mai sperimentato tal piacere della vita, e tali furori di gioia maniaca ma schiettissima, come in alcuni tempi ch'io aspettava un male imminente, e diceva a me stesso ; Ti resta tanto a godere e non più, e mi rannicchiava in me stesso, cacciando tutti gli altri pensieri, e soprattutto di quel male, per pensare solamente a godere, non ostante la mia indole malinconica in tutti gli altri tempi, e riflessivissima. Anzi forse questa accresceva allora l'intensità del godimento, o della risoluzione di godere.

( Zibaldone, [298-299] )


Il est certain que l'état naturel  est fait de repos et de calme, et que l'homme, même le plus ardent et le plus énergique, aspire au calme et à l'INACTION perpétuelle dans presque toutes ses actions. Notez ici que l'homme primitif menait une vie ordonnée et que la vie la plus heureuse n'est pas sociale mais naturelle. Notez encore l'impression produite de nos jours par une vie campagnarde ou domestique sur les personnes les plus agitées ou les plus affairées : elle leur semble l'existence la plus heureuse que l'on puisse mener. Et elle l'est véritablement lorsqu'elle se résume à une série d'occupations ordonnées ; c'est ainsi qu'elle était chez les primitifs et les sauvages, toujours préoccupés de pourvoir à leurs besoins ou de voir le fils et le père se reposer de leurs peines et de leurs actions. Quoi qu'il en soit, un homme habitué à une inaction totale se sent tellement bien que l'activité ne ferait que lui nuire. On voit souvent des prisonniers grossir, bien se porter et être contents en attendant un jugement qui décidera de leur vie. En effet, l'imminence du malheur augmente le plaisir du présent – phénomène que les anciens (comme Horace) avaient déjà remarqué, qui leur était très connu et que j'ai moi-même expérimenté : je n'ai jamais trouvé tant de plaisir dans la vie, je n'ai jamais été autant transporté par de tels accès de joie démente mais totalement pure qu'en ces moments où je m'attendais à un malheur imminent et que je me disais ; il te reste tant de temps pour en profiter et pas plus, je me repliais alors en moi-même, chassant toutes mes autres pensées, et surtout celle de ce malheur, pour ne penser qu'à prendre du plaisir, malgré mon tempérament ordinairement mélancolique et très réfléchi. Cela augmentait peut-être l'intensité de mon plaisir ou de ma décision d'en profiter.

(Zibaldone, [298-299]  Traduction : Bertrand Schefer, Editions Allia, 2003)








Images : en haut, Ian Docwra  (Site Flickr)

au centre et en bas, Recanati  (Site Flickr)




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