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mercredi 3 octobre 2012

Alla deriva (À la dérive)




"Un coro e terminiam la scena..."






Mai 1955

Raffaella Pellizzi a décidé de mettre un peu d'ordre dans la vie de Cardarelli ; et elle a commencé par lui ranger sa chambre. Elle me racontait qu'aujourd'hui en débarrassant sa table de travail où désormais il ne s'assied plus depuis des mois, au milieu d'une absurde accumulation de livres, de bouteilles, de cahiers, de lettres non expédiées et d'autres reçues et jamais ouvertes, au milieu de vieilles écharpes et de médicaments de tous ordres elle a trouvé huit stylos à plume et sept paires de ciseaux. Le tiroir de la table de nuit était ouvert, plein de livres qui en sortaient comme une tour chancelante, et au milieu des livres, il y avait les pantoufles dont la disparition désolait depuis longtemps le poète. Elle n'a trouvé ni livres ni manuscrits de l'auteur. Cardarelli n'écrit plus depuis quelques années. Il n'aime pas non plus qu'on lui parle de littérature et de poésie, choses mortes, rejetées, qui ont perdu leur valeur et lui font chercher l'air, si la conversation vient à les aborder, comme s'il mâchait un fruit plein de cendres. Son corps survit à son esprit. Il se regarde survivre avec aigreur, cherchant peut-être dans la vie la dégradation dernière, curieux de voir jusqu'à quel point l'esprit qui le soutient peut se corrompre en même temps que son corps, avec la stoïque implacabilité de celui qui remarque : «Je te l'avais bien dit.»

Ennio Flaiano  La solitude du satyre Editions du Promeneur, 1996







Alla deriva

La vita io l’ho castigata vivendola.
Fin dove il cuore mi resse
arditamente mi spinsi.
Ora la mia giornata non è più
che uno sterile avvicendarsi
di rovinose abitudini
e vorrei evadere dal nero cerchio.
Quando all’alba mi riduco,
un estro mi piglia, una smania
di non dormire.
E sogno partenze assurde,
liberazioni impossibili.
Oimè. Tutto il mio chiuso
e cocente rimorso
altro sfogo non ha
fuor che il sonno, se viene.
Invano, invano lotto
per possedere i giorni
che mi travolgono rumorosi.
Io annego nel tempo.

Vincenzo Cardarelli  Opere  Ed. Mondadori, I Meridiani


À la dérive

La vie, je l'ai châtiée en la vivant.
Au plus loin où mon cœur m'a porté,
hardiment je suis allé.
Maintenant ma journée n'est plus
qu'une alternance stérile
de désastreuses habitudes
et je voudrais sortir du cercle noir.
Quand je me retrouve à l'aube,
un caprice me prend, une agitation
qui m'empêche de dormir.
Et je rêve de départs absurdes,
d'impossibles délivrances.
Hélas. Tous mes remords 
enfouis et cuisants
n'ont pas d'autre exutoire
que le sommeil, s'il vient.
En vain, en vain je lutte
pour m'emparer des jours
qui bruyamment m'emportent.
Je me noie dans le temps.

(Traduction personnelle)








Images : grazie a Nello Zazzaro (Site Flickr)



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