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dimanche 28 octobre 2012

La Malinconia





"Après les aveux commence le mystère."

Jean Cocteau






Je ne suis pas sûr d’aimer La Malinconia, malgré l’admiration que j’éprouve, chaque fois, lorsque j’entends, sous le titre «La Mélancolie», non pas la noirceur uniforme à laquelle ce mot prépare, mais des épisodes violemment contrastés, juxtaposés sans que leurs tensions se résolvent. Je ne suis pas sûr de l’aimer, le second adagio du sixième quatuor, le mouvement lent qui clôt la partition au mépris de toutes les règles, mais j’y entends surtout un sursaut de réalité. À commencer par le silence, impossible à partager, dont s’extrait la plainte initiale. Un silence d’absolue surdité plus qu’une éclipse des sons, un monde qu’on ne peut atteindre par une simple plongée. Ce n’est pas une question de profondeur ou de gravité, ce n’est pas une affaire de degré. Il ne suffit pas de descendre en soi plus profond, ou plus profond dans les notes, pour trouver l’ouïe, la brèche, et remonter en brandissant un trésor, une vérité. Dans cet ultime mouvement de l’ultime des premiers quatuors, c’est autre chose qu’il a, lui le grand sourd, conquis, arraché, dérobé à l’inhumain. Dans La Malinconia toutes les souffrances convergent, celle du mal, celle qui œuvre au cœur de la musique, celle en moi de Turin quand j’y devine une défaite essentielle. Géométrisée dans le refus de sa folie, dans l’agrégat des rues identiques, Turin s’est raidie pour que la vie de tous les jours n’y soit qu’étrangeté.






Mes années là-bas furent sans raison, n’eurent pas de cause, comme la danse fluette, paysanne, qui succède à présent dans le quatuor à la plainte sans la dominer, allégresse et mélancolie côte à côte sans rien qui les englobe et leur donne un sens, rien qui les fasse tenir ensemble tels deux versants d’un massif. Avant lui, qui a su ajointer ainsi dans un seul mouvement des termes incompatibles, nul n’avait mis en musique la joie imméritée à côté du rien, le discontinu. Si la vie d’un homme pouvait reproduire la succession de ces notes, si la mienne le pouvait...

Bernard Simeone
Cavatine Éditions Verdier, 2000






 


Images : en haut, Site Flickr

au centre, Valinuccia (Site Flickr)

en bas, Irene (Site Flickr)


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