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dimanche 21 octobre 2012

Ci guardano (Ils nous regardent)




«Nous sommes les yeux des morts.»







«... la Rome d'aujourd'hui, la Rome de Fellini cinéaste : Rome asphyxiée par une circulation démentielle et qui, parce qu'elle est Rome, donc intraversable – toutes ces ruines ! – s'est ceinturée d'un «périphérique» pareil à un anneau de Saturne ; Rome des gigantesques travaux souterrains, mais qui, parce qu'elle est Rome – donc bâtie sur les couches de temps qui ont laissé des traces –, possède un sous-sol imprévisible : on creuse, on perce, et l'on tombe sur une poche de vide, une maison d'il y a deux mille ans, avec des fresques encore fraîches, tous ces regards qui se tournent vers vous, mais voilà, l'air du dehors corrode tout comme un acide, les fresques, les statues, les objets s'évanouissent sous nos yeux (la séquence est bouleversante de beauté et d'émotion).»

Jean-Louis Bory, Fellini-Roma, chronique du 22 mai 1972, parue dans Le Nouvel Observateur, recueillie dans le volume La lumière écrit (collection 10 / 18, 1975)







On entend le bruit obsédant de la foreuse qui fouille, qui creuse, et soudain tout s'arrête. Il n'y a plus alors que le bruit du vent, une bourrasque infernale, qui envahit la cavité où se trouve la villa romaine. La lumière des torches balaie les fresques et les statues, s'attarde sur les visages et sur les yeux qui depuis deux mille ans sont ouverts dans cette obscurité. Une voix de femme, avec un fort accent allemand, dit : «Tous ces visages, on dirait qu'ils nous regardent !». Le vent violent continue de souffler, et soudain les murs se désagrègent, les fresques se dissolvent, rongées par l'air extérieur comme par un acide. Les visages s'effacent, et c'est comme si la pellicule du film s'enflammait sous nos yeux, détruisant les images. La même femme crie : «C'est un désastre ! Qu'est-ce que l'on peut faire ? Il faut faire quelque chose !» Mais déjà il n'y a plus sur les murs que du sable et de la poussière, emportés par le vent...





 

Images : en haut, fresque de Pompei : le boulanger Proculus et son épouse (Source)

en bas, scène finale du Satyricon de Fellini

Source de la vidéo : Site YouTube

8 commentaires:

  1. Oh oui ! J-L. Bory a raison. La première séquence de Fellini's ROMA est bouleversante de beauté et d'émotion. cela fait très mal quand la fresque s'efface. Et ce bruit de vent qui remplace celui de la foreuse comme quelque chose qui vient du passé jusqu'à nous. Superbe...

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  2. Magnifique évidemment!
    Impossible d' oublier également la séquence du défilé ecclésiastique. Dans l'oeuvre de Fellini,
    Il faut aussi parler de Ennio Flaiano, son compère, même s'il ne signe pas le script de Roma.
    Son roman "Tempo di uccidere" est bouleversant.

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  3. Ah oui, vous avez bien raison de parler d'Ennio Flaiano, grand scénariste et excellent écrivain, avec une extraordinaire maîtrise de l'aphorisme. Le grand cinéma italien des années cinquante et soixante lui doit beaucoup. "Tempo di uccidere" est son unique roman et c'est un chef d’œuvre ! Il a été récemment traduit en français sous le titre "Un temps pour tuer" dans la collection "Le Promeneur" chez Gallimard. Je trouve qu'il y a quelque chose du Meursault de "L'Etranger" de Camus dans le caractère du personnage central du récit...

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  4. C'est un roman Africain non écrit par un africain.
    L'auteur a parfaitement intégré la notion du temps, la place importante de la parole, l'omniprésence du sacré et du profane, et bien entendu le mensonge.
    Il n' y pas énormément de romans qui contiennent tout cela qui qui prétendent parler d'Afrique.

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  5. Julius Marx : je partage votre point de vue, Flaiano s'est certainement souvenu pour écrire son roman de sa participation (comme sous-lieutenant) à la campagne d'Abyssinie lancée par Mussolini en 1935-1936. Il écrit même dans un journal tenu pendant ces années-là que les Éthiopiens ressemblent par bien des traits de caractère aux Napolitains...

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  6. Oui, je pense même que Naples est déjà, par certains côtés, une ville africaine. Il suffit de parcourir,ces petites rues, les nuits d'été, pour en être convaincu.Il y a surtout le temps (encore) qui cesse subitement de n'être qu'une unité de mesure.

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