"Più mi allontano e più mi trovo al punto di partenza. Anni di distanza e basta un odore a riportarmi indietro. Basta un sapore a riportarmi indietro. E un suono lontano, magari appena accennato, mi risucchia verso casa. Un gregge visto dai finestrini di un treno. Un accento percepito in un ufficio pubblico, al ristorante, al supermercato. E il concorrente sardo al telequiz, al talent show... L'autore sardo in libreria. L'insegna col nuraghe nella grande città straniera. Il souvenir a casa di un conoscente. La cartolina estiva calamitata sul frigorifero... Tutto, tutto mi riporta a casa quando credo di esserne definitivamente partito."
Marcello Fois In Sardegna non c'è il mare
Un extrait du livre de Marcello Fois, In Sardegna non c'è il mare (En Sardaigne, il n'y a pas la mer). Il s'agit du chapitre intitulé : Vano tentativo di stabilire una distanza (Vaine tentative pour prendre ses distances). Il est bien sûr question ici de la Sardaigne, mais d'autres insulaires s'y reconnaîtront sans doute...
Quand j’étais enfant, les jours de fête, j’étais réveillé par l’odeur douce-amère de l’agneau ; on le préparait à l’extérieur, sur un terrain dégagé entre les oliviers et les chênes. Dans ma famille, ce sont toujours les hommes qui se sont occupés de la cuisson, un long travail fait de patience et de surveillance, et d’histoires que l’on se raconte pour passer le temps. Les femmes préparaient à la maison les raviolis de fromage frais et les malloreddos. À nous autres enfants incombait la tâche de placer la pâte fraîche sur une toile de lin pour la faire sécher. Le repas de fête était un rite collectif, une façon de s’assurer de l’unité de la famille. Les vieux se partageaient équitablement : les grands-mères à la maison pour prodiguer leurs conseils, les grands-pères dans la cour pour s’occuper du vin. Sur la cuisson de l’agneau, il y avait plusieurs écoles : les traditionalistes le voulaient «enterré», tandis que les modernistes le préféraient rôti. Les deux écoles étaient très éloignées, tant sur le plan de la méthode que sur celui de la philosophie. Les gens patients et expérimentés préféraient la cuisson dans la terre, alors que la broche convenait à ceux qui étaient plus expéditifs et souhaitaient avoir un contrôle total du processus.
La cuisson «enterrée» nécessitait une préparation complexe : on commençait par creuser un trou assez profond pouvant contenir l’agneau, puis on préparait la braise avec du bois de chêne, en ajoutant des baies de genièvre et des buissons de myrte ; sur ce lit ardent, on déposait l’animal dépiauté et on le laissait faisander pendant trois nuits, ensuite on le recouvrait de myrte, genièvre, thym et romarin, avant de le recouvrir une nouvelle fois de terre. Au sommet du tertre, on laissait une petite ouverture, et puis on attendait. Mais il ne s’agissait pas d’une attente passive : celui qui avait enterré l’agneau ne s’éloignait jamais du «four», et l’on aurait dit qu’il disposait d’un regard aux rayons X, puisqu’il savait exactement où on en était, selon la couleur de la fumée ou le parfum qui s’échappait de la petite ouverture. Après des heures d’attente, on estimait que c’était le bon moment, et avec délicatesse on enlevait la terre et la couche d’herbes aromatiques. L’agneau se trouvait au fond, brun et croquant, mais pas desséché, sa chair restait humide et savoureuse, une expérience unique.
La cuisson rôtie nécessitait un travail de préparation concernant surtout l’insertion correcte de la broche, à bonne distance de la braise, et, chose fondamentale, la position verticale de la viande à rôtir, à la turque ; les officiants contrôlaient la cuisson minute par minute et tournaient la broche. On obtenait ainsi une viande plus sèche au goût plus naturel. Une différence qui relève aussi de l’appartenance, une saveur qui est aussi affaire d’identité.
Plus je m’éloigne et plus je me retrouve au point de départ. Des années de distance, et il suffit d’une odeur, d’une saveur pour me ramener en arrière. Et un son lointain, même à peine esquissé, me ramène chez moi. Un troupeau vu derrière les vitres d’un train. Un accent perçu dans un bureau, au restaurant, au supermarché. Et le concurrent sarde dans les jeux télévisés... L’écrivain sarde dans les librairies. L’enseigne avec le nuraghe dans la grande ville étrangère. L’objet souvenir dans la maison d’une connaissance. La carte postale de vacances aimantée sur le réfrigérateur... Tout, tout me ramène chez moi chaque fois que je pense en être définitivement parti.
Marcello Fois In Sardegna non c'è il mare Ed. Laterza, 2008 (Traduction personnelle)
En écoutant cette musique, cette voix grave et émouvante, je laisse aller ce texte dans ma mémoire. Des mains de femmes dans la farine... des gamins agglutinés, gourmands, heureux... des transmissions par ces fêtes lentes des mets cuisinés... une histoire qui se transmet, des souvenirs qui nous fondent.
RépondreSupprimerPeu d'hommes dans ces souvenirs... Marcello Fois a de la chance...
Ces photographies sont superbes. On sent la chaleur et le mystère du feu...
Ninna Nanna...
La berceuse, chantée par Maria Carta, dit : "Au-dessus du pont brille la lune / Dans le ciel il ne manque pas une seule étoile / Cette nuit, que je sois la seule à pleurer / Toi, mon enfant, dors... / Dans les châtaigniers, le vent souffle / Toutes les lumières vont bientôt s'éteindre / Mais toi, mon enfant, dors..." Il existe aussi une version corse de cette berceuse sarde : "Sottu a lu ponte", avec un air différent mais des paroles presque identiques.
RépondreSupprimerMerci, Emmanuel,
RépondreSupprimertrès proche aussi de la berceuse de Noces de sang de Federico Garcia Lorca (Acte I, tableau II)
"Dodo, l'enfant do,
La cavale noire
N'a pas voulu boire
Et l'eau coulait noire
Entre les rameaux.
Au pont se repose,
S'y met à chanter;
Qui saurait les choses
Qu'elle peut conter,
Quand l'eau se promène
Traînant longue traîne ?
Dormez, mon rosier,
La cavale noire
S'est mise à pleurer.
...
Ah ! cavale noire
Qui ne veut pas boire,
Neige de chagrin,
Cheval du matin...
Dodo, l'enfant do"