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vendredi 3 juin 2011

Le Jour et l'Heure



Un extrait de
Luoghi naturali (Lieux naturels) de Mario Fortunato, paru en 1988 chez Einaudi et réédité en 2007 chez Bompiani. Il s'agit d'une suite de neuf récits liés par plusieurs thèmes récurrents : la marginalité, l'isolement, le poids de l'irrémédiable qui s'impose comme un "lieu naturel", un donné qui pèse et contre lequel on tente – en vain, le plus souvent – de lutter. Le passage que je cite ici est extrait du récit Ricorrenze (Anniversaires) :

Il colloquio con il dottor Reggiani era stato, all’inizio, calmo e anche vagamente distratto. Il medico gli aveva messo sotto il naso una serie di fogli con tracciati, puntini di sospensione, qualche cifra corrispondente a termini che per lui erano comunque incomprensibili. Fra quei dati, che il medico cercava di illustrargli, si era perso più volte, come davanti a un codice segreto o a un misterioso anagramma dentro il quale si nascondevano il suo futuro, i suoi gesti, la possibilità di pronunciare frasi come : «Quando sarò vecchio», oppure : «Fra un anno», eccetera. Aveva guardato Reggiani come uno sciamano dai poteri incalcolabili, capace di decidere, in base a una parzialissima lettura di quei fogli, il suo destino, di predire sciagura oppure felicità. Annidata fra uno zero e una virgola, gli sembrava di scorgere la sua stessa esistenza, tradotta in un altro alfabeto, eppure lì, visibile contro il bianco della carta. Complicata, confusa, ma visibile. Captò appena che il medico gli aveva accennato alla positività del test. Anzi, in un certo senso respinse quella parte del discorso come insensata, sottilmente provocatoria.

Fu a quel punto che si sentì dire : «Cosa dovrei fare ?» Si accorse che gli tremava la palbebra dell’occhio destro, e per un attimo, assurdamente, fu felice di aver tenuto gli occhiali da sole. Il medico non rispose direttamente. Fece allusioni a centri specializzati a Parigi, al fatto che non era detta l’ultima parola. Disse proprio così, anzi : «Non è detta l’ultima parola». Lui si chiese quale sarebbe stata la sua ultima parola, in che giorno e a che ora l’avrebbe pronunciata. Si domandò se sarebbe stata una parola degna di memoria o una sciocchezza qualsiasi, una parola come un’altra. Rifletté perfino sul fatto che magari nessuno l’avrebbe raccolta, ricordata. Emerse da quel fantasticare, disse : «Non so. Vorrei pensarci su». Il dottor Reggiani assunse l’espressione di un venditore che non è riuscito a persuadere appieno il cliente. Suggerì : «Si faccia vivo fra un paio di giorni. Nel frattempo proverò a mettermi in contatto con i colleghi francesi». Aggiunse che aveva studiato certi casi di malattie infettive proprio in quella clinica parigina, e che lì aveva qualche buon amico. Poi concluse : «Stia tranquillo. E intanto prende queste per la sua febbricola». Gli diede delle compresse. Lui salutò cordialmente, e uscì deciso a partire. Subito.

Mario Fortunato Luoghi naturali Ed. Bompiani, 2007





L’entretien avec le docteur Reggiani avait été, au début, tranquille et même vaguement distrait. Le médecin lui avait montré une série de feuillets remplis de tracés et de points de suspension, quelques chiffres renvoyant à des indications qui, de toute façon, étaient pour lui incompréhensibles. Il s’était souvent perdu au milieu de toutes ces données que le médecin s’efforçait de lui expliquer, comme s’il s’agissait d’un code secret ou d’un anagramme mystérieux où se cachaient son avenir, ses actions, la possibilité de prononcer des phrases comme : «Quand je serai vieux», ou bien : «Dans un an», etc. Il avait regardé Reggiani comme s’il s’agissait d’un chaman aux innombrables pouvoirs, capable, sur la base d’une lecture très partiale de ces feuillets, de décider de son destin, de lui prédire le malheur ou la félicité. Nichée entre un zéro et une virgule, il lui semblait apercevoir sa propre existence, transcrite dans un autre alphabet, et pourtant là, visible sur la blancheur du papier. Complexe, confuse, mais bien visible. Il saisit à peine que le médecin avait fait allusion à la positivité du test. D’une certaine façon, il rejeta même cette partie du discours qui lui parut insensée, subtilement provocatrice.

C’est à ce moment-là qu’il s’entendit dire : «Qu’est-ce qu’il faudrait que je fasse ?» Il s’aperçut que la paupière de son œil droit tremblait, et sur le moment, de façon un peu absurde, il fut heureux d’avoir gardé ses lunettes de soleil. Le médecin ne répondit pas directement. Il fit allusion à des centres spécialisés à Paris, et au fait que le dernier mot n’avait pas été dit. C’est même l’expression exacte qu’il a employée : «Nous n’avons pas dit notre dernier mot». Il pensa à ce que serait son dernier mot, en quel jour et à quelle heure il l’aurait prononcé. Il se demanda s’il s’agirait d’un mot digne d’être retenu ou d’une bêtise quelconque, un mot comme un autre. Il médita même sur le fait que peut-être personne ne l’aurait recueilli ou ne s’en serait souvenu. Il sortit enfin de ses rêveries et dit : «Je ne sais pas. Je voudrais y réfléchir». Le docteur Reggiani prit alors l’expression d’un vendeur qui n’a pas réussi à convaincre complètement son client. «Rappelez-moi dans deux jours, proposa-t-il, j’essaierai d’ici là de contacter mes confrères français.» Il ajouta qu’il avait justement étudié certains cas de maladies infectieuses dans cette clinique parisienne, et qu’il y avait quelques bons amis. Puis il conclut : «Ne vous inquiétez pas. Et en attendant, prenez cela pour cette petite fièvre». Il lui donna des comprimés. Il salua cordialement le médecin et sortit, décidé à s’en aller. Immédiatement.

(Traduction personnelle)






Lieux naturels
, de Mario Fortunato, est paru aux éditions Rivages en 1989, dans une traduction de François Bouchard.



Images : en haut et au centre : Stefano Montani (Site Flickr)

en bas, Federico Novaro (Site Flickr)

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