Je cite ici un
autre extrait du recueil de nouvelles de Piero Santi Amici per le vie (Amis le
long des rues). Il s’agit de la nouvelle intitulée Michele (Michel) ;
c’est le prénom du héros, tourmenté et secret, qui vit avec sa sœur Angela à
Florence, dans le quartier de Borgognissanti, à la suite de la mort de ses
parents. Michele a du mal à accepter la présence de Marino, le fiancé de sa
sœur ; quand il tombe gravement malade, il est presque heureux que cela
lui permette de focaliser à nouveau sur lui l’attention d’Angela, au détriment
de Marino. Après sa guérison, il va saisir toutes les occasions pour quitter
l’appartement et explorer la ville qui s’offre à lui, à la fois menaçante et
attirante. On se rendra compte dans ce passage de l’audace tranquille avec
laquelle Piero Santi évoque le trouble de Michele quand il découvre la vie
nocturne des parcs et des jardins de Florence, ces ombres errantes et ces
promeneurs qui s’immobilisent au passage du jeune homme, et les visions qui le
poursuivent dans son lit, au retour de ses pérégrinations solitaires.
Il faut
se souvenir que tout cela a été écrit et publié (certes de façon
confidentielle) en 1939, c'est-à-dire dans l’Italie fasciste peu encline à
considérer avec bienveillance ces thèmes «homoérotiques», pour employer une
expression familière à notre auteur. On retrouvera d’ailleurs la même franchise
dans le Diario (Journal) des années 1943-1946, et cela est d’autant plus
remarquable qu’il s’agit évidemment dans ce cas d’une démarche clairement
autobiographique. Dans L’eroe negato ([Le héros nié] Ed. Baldini&Castoldi, Milano, 2000), son ouvrage consacré à
l’homosexualité dans la littérature italienne du vingtième siècle, Francesco
Gnerre remarque à juste titre que Piero Santi «fait partie des rares
auteurs de sa génération qui ont représenté l’homosexualité sans aucun sens de
culpabilité, sans faux-semblants ni dissimulations, une sincérité avec lui-même et avec les autres qui a caractérisé sa vie tout entière.» À plus de soixante-dix ans, il répond ainsi aux questions que lui
pose Giovanni Dall’Orto sur la façon dont son homosexualité a pu
influencer son travail littéraire (entretien recueilli dans l’ouvrage La pagina
strappata [La page arrachée] Ed. Gruppo Abele, Torino, 1987) : «Je crois qu’il y a eu une influence
sur les thèmes que j’ai abordés, puisque mes personnages sont pour la plupart
des garçons ; si je n’avais pas été homosexuel, j’aurais sans doute choisi
d’autres sujets. Ma condition peut aussi m’avoir aidé d’une autre façon. Dans
la littérature italienne, après l’âge d’or des seizième et dix-septième
siècles, il y a eu de grands écrivains, mais avec des contenus terriblement
statiques, immobiles, sans ouverture. Dans cette littérature italienne, en
particulier au vingtième siècle où des écrivains très reconnus sont toujours
restés attachés à des sujets que l'on pourrait qualifier de «prévisibles», mon homosexualité m’a peut-être permis de sortir de cette routine, de ce «provincialisme» italien. Il y a certes
des écrivains importants (Svevo, Tozzi, Pirandello, Palazzeschi), et ce
sont des auteurs que j’aime, bien sûr, parce qu’ils sont de vrais écrivains,
mais chez qui je ne me retrouve pas, comme quand je lis Proust ou Joyce, ma
grande passion (et je précise pour éviter tout malentendu qu’il n’était pas
homosexuel !). Au lieu de parler du garçon qui tombe amoureux de la tante
de sa petite amie, le fait d’être homosexuel m’a sans doute aidé à trouver une
matière narrative plus ambiguë et plus complexe.»
La sera, volle uscire :
Marino, il fidanzato della sorella, era in casa ed egli non poteva sopportarne
la presenza. Finse un appuntamento con un amico. Angela rimase indecisa ; il pensiero di rimanere sola con Marino le
faceva piacere, ma d’altra parte si era insinuata in lei una paura nuova. Tentò
di dissuadere il fratello ; ma ad un tratto sentì che il fidanzato la
guardava fisso : voltandosi verso di lui vide i suoi occhi incupiti e la
bocca chiusa ; nell’asprezza dell’espressione il volto era ancora più
bello. Disse :
- Va pure. Ma cerca di non fare tardi.
Marino ridacchiò
nell’angolo del divano. Michele salutò in fretta e fu subito fuori. Prese a
sinistra, senza una direzione determinata. Camminò a lungo. Alla Fortezza, il
parco dei divertimenti era in piena efficenzia ; egli lo traversò per
tutta la sua estensione, tra il frastuono delle musiche. L’otto volante
lanciava nell’aria le sue carrozzelle piene di gente rumorosa e Michele si
arrestò per qualche minuto a guardare verso l’alto, nell’intrico rossoblù dei
binari. Più avanti, nelle piste delle automobili, era un cozzare
irragionevole ; ad un tratto una ragazza apparve fuori da una baracca e si
mise a correre verso il buio del parco.
Essendosi spinto verso strade
sconosciute, lontane, ritornò indietro. Era passata la mezzanotte quando si
trovò nuovamente nei pressi della Fortezza. Non aveva mai fatto così tardi e
l’idea di esser solo nel buio delle vie gli dette un senso di forza
sconosciuta. A poco a poco lo prendeva il fascino aspro della notte. Dietro gli
alberi lontani del giardino si aggiravano le ombre, e il silenzio cupo si
richiudeva su di lui. Alzò, per un involontario moto interno, gli occhi verso i
colli in fondo alla via, rivelati appena nel cielo, e sentì tormentosamente la
vastità invincibile dello spazio che lo divideva dai pini, dalle erbe basse dei
prati, dai sentieri scoscesi. D’improvviso la notte gli apparve popolata in
ogni angolo, dietro le siepi. Affrettò il passo ; sul vicino terrapieno un
treno illuminato sfilò sotto una casa rossa e il fumo si sparse denso
nell’aria. Egli camminava ancora rasentando i tronchi dei platani ;
malgrado fosse stanco sentì che nel suo corpo ritornava l’antico vigore. Gli
passò vicino un giovanotto in tuta che lo guardò ; s’accorse che si
fermava perché non udì più il rumore dei passi sulla ghiaia. Non si voltò,
ansimava, sentiva il sangue in bocca. Un fremito lo fece tremare come fosse in
un campo gelato. Camminò più in fretta e poco dopo si trovò sotto casa.
Vedendo
la finestra del salotto ancora illuminata, une rabbia cupa gli fece salire
velocemente le scale.
Dal salotto venivano voci alte e risa. Aprendo la porta
con violenza, lo colpì l’azzurro chiaro dell’abito di Angela stretta al
fidanzato. Essi lo guardarono appena ; Marino si alzò. Michele richiuse la
porta e andò nella sua camera. Senza accendere la luce si spogliò lentamente.
Il letto era fresco, grande, diverso da quando era ammalato.
La sera seguente sarebbe
ancora uscito, la città era grande, ignota, quell’ignoto lo voleva affrontare.
Si toccò le cosce, pensò alle ombre che affolavano i giardini mentre con
mormorii inavvertiti il sonno velava di azzurro e di grigio le sue immagini.
Piero Santi Amici per le vie, Galleria L'Indiano, Firenze, 1976 (prima edizione : Circoli, Roma, 1939)
Le
soir, il voulut sortir : Marino, le fiancé de sa sœur, était à la maison
et il ne pouvait pas supporter sa présence. Il prétexta un rendez-vous avec un
ami. Angela était indécise ; la perspective de rester seule avec Marino
lui plaisait beaucoup, mais d’autre part, une peur nouvelle s’était insinuée en
elle. Elle tenta de dissuader son frère ; mais elle sentit soudain que son
fiancé la regardait fixement : en se tournant vers lui, elle vit ses yeux
assombris et ses lèvres serrées ; l’âpreté de l’expression rendait son
visage encore plus beau. Elle dit :
- Tu peux y aller. Mais ne rentre pas
trop tard.
Marino ricana dans le coin du divan. Michele les salua rapidement et
sortit aussitôt. Il partit sur la gauche, sans direction précise. Il marcha
longtemps. À la Forteresse, le parc d’attractions était en pleine
activité ; il le traversa entièrement, au milieu du vacarme des musiques.
Le grand huit projetait dans l’air ses nacelles pleines de gens bruyants et
Michele s’arrêta quelques instants pour regarder vers le haut, en direction de
l’enchevêtrement rouge et bleu des rails. Plus loin, sur les pistes des
autos-tamponneuses, régnait une folle agitation ; brusquement, une fille
sortit de l’une des baraques et se mit à courir vers l'obscurité du parc.
Comme il s’était aventuré dans des rues inconnues et lointaines, il revint sur
ses pas. Il était plus de minuit quand il se trouva à nouveau dans les parages
de la Forteresse. Il n’était jamais sorti si tard et l’idée de se retrouver
seul dans l’obscurité des rues lui donna une sensation de force qu’il n’avait
encore jamais connue. Peu à peu, il se laissait gagner par l’âpre fascination
de la nuit. Derrière les arbres lointains du jardin, des ombres erraient, et le
silence sombre se refermait sur lui. Un réflexe impérieux lui fit lever les
yeux vers les collines au fond de la rue, à peine visibles dans le ciel, et il
sentit douloureusement l’insurmontable immensité qui le séparait des pins, des
herbes basses des prés, des sentiers escarpés. Tout à coup, la nuit lui sembla
peuplée en chacun de ses recoins, derrière les haies. Il pressa le pas ;
sur le terre-plein tout proche, un train illuminé défila sous une maison rouge,
répandant une fumée dense dans l’air. Il marchait encore en longeant les troncs
des platanes ; malgré la fatigue,
il sentit revenir dans son corps l’ancienne vigueur. Un jeune homme en bleu de
travail passa près de lui et le regarda ; il s’aperçut qu’il s’était
arrêté parce qu’il n’entendit plus le bruit de ses pas sur le gravier. Il ne se
retourna pas, il avait le souffle court et un goût de sang dans la bouche. Il
se mit à frissonner comme s’il se trouvait dans
un champ gelé. Il marcha plus vite et en peu de temps il se
retrouva chez lui.
En voyant la fenêtre du salon encore éclairée, il ressentit
une rage sourde qui lui fit monter plus
rapidement les escaliers.
Du salon venaient des éclats de voix et des rires. En
ouvrant violemment la porte, il fut frappé par le bleu clair de la robe de sa
sœur qui étreignait son fiancé. Ils le regardèrent à peine ; Marino se
leva. Michele referma la porte et alla dans sa chambre. Sans allumer la
lumière, il se déshabilla lentement. Le lit était frais, vaste, ce n’était pas
comme quand il était malade.
Le lendemain soir, il serait encore sorti, la
ville était grande, inconnue, et il voulait affronter cet inconnu. Il se toucha les cuisses, pensa aux ombres qui peuplaient les jardins tandis qu’avec
d’imperceptibles murmures, le sommeil voilait de gris et de bleu ses visions.
(Traduction personnelle)
Images : en haut, Niccolò (Site Flickr)
au centre, Leonardo Morelli (Site Flickr)
en bas, Site Flickr
au centre, Leonardo Morelli (Site Flickr)
en bas, Site Flickr
Il me semble, sauf votre respect, qu‘il y a une ambiguité au début de la dernière phrase, dans la traduction. Est-ce que « il se toucha les cuisses » ne sera pas plus exact ?
RépondreSupprimer(Renaud Camus)
Merci de votre lecture attentive ; je pense en effet que vous avez raison et je vais corriger le texte ! Je profite de l'occasion pour vous signaler que vous êtes cité dans le livre de Francesco Gnerre dont je parle dans mon introduction ("L'eroe negato", page 35). Il s'agit d'une traduction d'un entretien paru dans la revue "Masques" en 1981 :
Supprimer« Niente è ridicolo come il concetto di "scrittore omosessuale" salvo forse quelli di "scrittore cattolico", "scrittore bretone", "scrittore d'avanguardia". Io mi ritrovo male a essere "uno scrittore", mi piacerebbe esserne due, o tre, o di più, e non per non ammettere di essere uno scrittore omosessuale, puah ! Omosessuale, questo sì (anche se la parola...) e scrittore, anche se a brandelli, ma mille altre componenti entrano in questa figura, più o meno importanti ; nel mio caso : scrittore dell'Auvergne, scrittore povero, scrittore nato sotto il segno del Leone, scrittore che aveva venti anni nel 1968 (più o meno), scrittore ammiratore di Pessoa, scrittore dagli occhi azzurri. »
Francesco Gnerre a aussi consacré un bel article à l'édition italienne de "Tricks" : ici.
“serait”, voulais-je dire.
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