L' unique recueil de poésie de Bernardo Bertolucci, In cerca del mistero [En quête du mystère], a été publié en 1962 ; on y trouve des poèmes écrits entre 1955 et 1962, c'est à dire entre quatorze et vingt-et-un ans. Le titre de l'ouvrage est extrait d'un poème de Giovanni Pascoli (une grande inspiration du jeune Bertolucci, avec Leopardi, Pasolini, et son père Attilio, bien sûr !) Il ciocco [La bûche], dans les Canti di Castelvecchio : "Errerà forse, in quell'eremitaggio del Cosmo, alcuno in cerca del mistero." ("On verra peut-être errer, dans cet ermitage du Cosmos, quelqu'un en quête du mystère.") Tout l'univers du futur cinéaste est déjà présent dans ces vers de jeunesse : les paysages de l’Émilie et des collines autour de Parme, les rapports avec le père, les rivalités enfantines, les peines et les amours de l'adolescence... Au détour d'un vers, souvent énigmatique, on aperçoit une image fugitive qui se matérialisera, bien des années plus tard, dans Prima della Rivoluzione, La Stratégie de l'araignée, La Tragédie d'un homme ridicule ou Novecento, film dont on perçoit bien ici la portée intime et autobiographique, derrière la grande fresque lyrique et politique. Il bambino e le rane [L'enfant et les grenouilles], le poème que je cite ici, est le premier du recueil (Bertolucci a quatorze ans quand il l'écrit), et on ne peut évidemment s'empêcher de penser en le lisant à la séquence de Novecento [1900] où le jeune Olmo chasse les grenouilles et les attache autour de son chapeau, comme des trophées. On remarquera d'ailleurs que gli olmi [les ormes] sont également présents dans le poème, où l'on voit un enfant solitaire et étonné se préparer à un combat...
Essere une rana gonfia e beata
e vedere nell'aria
i passeri che volano baciandosi
ora che gli olmi sono
umili lampade verdi
e i cancelli sono aperti, i pioppi sono
pilastri coperti di foglie.
Le rane quando passa il bambino
cessano le verdi torture sulle rive infilate.
Nessuno sul sentiero
che possa sentire, nessuno
che possa sentire un grido o un lamento.
Il bambino solo
me stesso
che strano prepararsi a un combattimento.
Bernardo Bertolucci In cerca del mistero Gremese Editore, 1988 (prima edizione : Longanesi, 1962)
Être une grenouille enflée et heureuse
et voir dans l'air
les moineaux qui volent en s'embrassant
maintenant que les ormes sont
d'humbles lampes vertes
et les grilles sont ouvertes, les peupliers sont
des piliers recouverts de feuilles.
Quand passe l'enfant les grenouilles
cessent les vertes tortures sur les rives alignées.
Personne sur le sentier
qui puisse entendre, personne
qui puisse entendre un cri ou une plainte.
L'enfant seul
moi-même
quelle étrange façon de se préparer à un combat.
(Traduction personnelle)
Images : extraits de Novecento (prima parte), de Bernardo Bertolucci
Terrible cette séquence de "1900" ! prémonitoire ce poème...
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