«Peindre l'âme en proie à quelque chose qu'elle ignore, et qui la capture, tel est le sens de l'invraisemblable machinerie, optique, géométrique, mathématique, fomentée par Piero della Francesca dans la plupart de ses œuvres. Tout semble n'être là que pour aller au vertige. Et ce vertige, c'est dans les regards qu'il se tient, dans la matière d'absence qui s'y dépose. Tout en eux paraît, dans le même temps, se concentrer, s'unir, et s'éloigner à la fois. C'est dans l'iris humide que s'accomplit l'étrange détachement. Fenêtres vides de ces yeux où semble se fixer cette matière en suspens, en proie à la déliaison et au hors-sens, là se recueille tout ce qui qualifie leur être, leur caractère distrait.
(...)
Les figures paraissent assumer leur être comme une pure convention, comme si les corps présents étaient loués, livrés à un jeu qui ne les concernait qu'à moitié. Elles refusent, mais sans fanatisme, de s'identifier tout à fait au rôle qu'elles interprètent.»
(...)
Les figures paraissent assumer leur être comme une pure convention, comme si les corps présents étaient loués, livrés à un jeu qui ne les concernait qu'à moitié. Elles refusent, mais sans fanatisme, de s'identifier tout à fait au rôle qu'elles interprètent.»
Jean-Paul Marcheschi Piero della Francesca, Lieu clair Editions Art 3, Nantes, 2011
L'important n'est pas ce qu'ils me montrent mais ce qu'ils me cachent, et surtout ce qu'ils ne soupçonnent pas qui est en eux.
Entre eux et moi : échanges télépathiques, divination.
(...)
Modèle. Enfermé dans sa mystérieuse apparence. Il a ramené à lui tout ce qui, de lui, était dehors. Il est là, derrière ce front, ces joues.
Supprime radicalement les intentions chez tes modèles.
À tes modèles : "Ne pensez pas ce que vous dites, ne pensez pas ce que vous faites." Et aussi : "Ne pensez pas à ce que vous dites, ne pensez pas à ce que vous faites."
(...)
Modèle qui, en dépit de lui-même et de toi, dégage l'homme véritable de l'homme fictif que tu avais imaginé.»
Supprime radicalement les intentions chez tes modèles.
À tes modèles : "Ne pensez pas ce que vous dites, ne pensez pas ce que vous faites." Et aussi : "Ne pensez pas à ce que vous dites, ne pensez pas à ce que vous faites."
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Modèle qui, en dépit de lui-même et de toi, dégage l'homme véritable de l'homme fictif que tu avais imaginé.»
Robert Bresson Notes sur le cinématographe Editions Gallimard, 1975
Images, de haut en bas :
(1) Piero della Francesca La Légende de la vraie Croix, Arezzo (détail)
(2) Robert Bresson Lancelot du Lac
(3) Piero della Francesca La Légende de la vraie Croix, Arezzo (détail)
(4) Robert Bresson Pickpocket
(5) Piero della Francesca Retable Montefeltro, Milan (détail)
(6) Robert Bresson Une femme douce
(7) Piero della Francesca Saint Julien (?), Sansepolcro (détail)
(8) Robert Bresson Lancelot du Lac
(9) Piero della Francesca La Madonna del Parto, Monterchi (détail)
(10) Robert Bresson Au hasard Balthazar
Source de la vidéo : Site YouTube
Le premier regard qui m'a figé (je n'exagère pas)c'est celui du Christ au premier plan de "la Résurrection".C'était un matin, nous étions seuls dans le musée.Aujourd'hui,en évoquant ce souvenir, l'émotion est toujours intacte.
RépondreSupprimerL'autre regard c'est celui du "Sourire du marin"..
le "Sourire du marin" : est-ce bien celui du tableau d'Antonello, que l'on peut voir à Cefalù, et dont Vincenzo Consolo a si bien parlé dans son roman "Il sorriso dell'ignoto marinaio" : "Toute l'expression de ce visage était fixée, pour toujours, dans la nuance subtile, mobile et fugace de l'ironie, ce voile sublime de pudeur amère avec lequel les êtres intelligents couvrent la pitié." ?
RépondreSupprimerOui, c'est bien ce sourire. Je n'ai malheureusement pas eu la chance de voir l'original à Cefalù.De Antonello j'ai vu à Palerme un petit tableau (par la taille). C'est un portrait de femme avec, dans mon souvenir, des nuances de bleu magnifiques. Et puis, là-encore, ce regard..
RépondreSupprimerC'est elle ?
RépondreSupprimerOui. C'est bien elle.Elle a le pouvoir de faire oublier pour un temps le monde et ses absurdités. La magnifique phrase de Comisso aussi.
RépondreSupprimerPage magnifique et quel beau dialogue entre Julius et Emmanuel !
RépondreSupprimerExtraordinaire rapprochement entre le peintre et le cinéaste.
RépondreSupprimerMais aujourd'hui, tout a changé! J'ai enfin pu admirer" le sourire". Pour moi, ce sourire c'est le regard du peuple sicilien. Un regard qui dit : qui es-tu? Que me veux -tu? Mais, qui ne repousse pas, qui n'exclut pas. Même s'il "garde ses distances" l'homme invite à la rencontre, même si la conversation, c'est sûr, ne dépassera jamais quelques mots comptés et dont l'énigmatique contenu vous confirmera dans votre triste rôle d'homme du continent.
RépondreSupprimerIntéressant, Julius.
RépondreSupprimerMoi, quand je creuse ces regards, je rencontre dans chacun d'eux une brume d'ailleurs, comme une dissociation entre une présence distraite à la scène qu'on les incite à jouer et une nostalgie intérieure qui les tire vers un secret qu'on ne veut (peut) pas recevoir. Un peu ce qui sourd de ce texte magnifique de J-P. Marcheschi.
Merci pour ces commentaires, mais je pense qu'il faut ici distinguer : Christiane parle des regards des "personnages" de Piero et de Bresson, et Julius évoque le sourire de l'"ignoto marinaio" ("le marin inconnu") du tableau d'Antonello ; on peut difficilement les rapprocher, nous sommes là dans des représentations tout à fait différentes. Sur le sourire du marin, je suis d'accord avec ce que dit Julius ; il y a effectivement dans ce détachement ironique qui reste bienveillant (avec les distances qu'indique Julius) une caractéristique des Siciliens, et peut-être plus largement de tous les insulaires...
SupprimerOui, chacun de nous, et certainement d'autres lecteurs qui passent par ici, réagissent différemment selon leur sensibilité, leur mémoire, leur présent. C'est aussi ce qui fait la richesse mystérieuse de "Fine Stagione"...
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