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jeudi 14 novembre 2013

Pianto antico (Plainte antique)




"No, no : scambiare in sul primo entrar nella vita l'avvenire dell'esistenza per l'oscurità del non essere non è bene." 

(Giosuè Carducci, Lettera a Ferdinando Cristiani, 14 novembre 1870)







Je cite ici deux poèmes de Giosuè Carducci, écrits après la mort de son jeune fils Dante, à la suite d'une congestion cérébrale, le 9 novembre 1870 (il n'avait que trois ans). Dans le premier poème, Carducci s'adresse à son frère cadet, Dante, qui s'était suicidé à l'âge de vingt ans en 1857, dans la demeure familiale de Santa Maria a Monte, près de Pise (selon une autre version, c'est son père, Michele Carducci, qui l'aurait tué accidentellement au cours d'une dispute) ; il lui confie l'âme de son fils (appelé justement Dante en mémoire de ce frère mort : "lui par qui tu revivais / Dans le grand nom vénéré") en lui recommandant de l'accueillir dans le sombre séjour des morts. Le titre du poème (Funere mersit acerbo) vient d'un vers de l'Énéide (VI, 429): "Abstulit atra dies et funere mersit acerbo." ("Un jour sombre les emporta et les poussa à une mort prématurée") ; il s'agit du moment où Énée, descendu dans le royaume des morts, entend des vagissements : ce sont les plaintes des âmes des nouveaux-nés emportés par la mort "au premier seuil de l'âge, exclus de la douceur de vivre, arrachés au sein maternel". 

Le second poème à été écrit l'année suivante, le jour de l'anniversaire de la naissance du jeune Dante (né le 21 juin 1867). Il est aussi célèbre en Italie que peut l'être en France Demain dès l'aube, le poème que Victor Hugo a dédié à la mémoire de sa fille Léopoldine. Le titre (Pianto antico) fait référence au thrène, la lamentation funèbre que chantaient les aèdes dans la Grèce antique (on peut rappeler à ce propos le chant XXIV de l'Iliade, au moment de l'exposition du corps d'Hector : "Ils ramenèrent le héros dans son humble demeure / Et le placèrent sur un lit sculpté. À ses côtés / Vinrent se mettre des chanteurs de thrènes, qui poussèrent / Leurs chants plaintifs, ponctués par les longs sanglots des femmes." (traduction de Frédéric Mugler, éditions Actes Sud, 1995)). On peut encore voir dans le petit jardin de la maison qu'habitait alors Carducci à Bologne, au n. 777 de la via Broccaindosso, le vert grenadier (beaucoup moins vert aujourd'hui, hélas...) dont il est question au tout début du poème. Les deux poèmes se trouvent dans le recueil Rime nuove, paru en 1887.


Funere mersit acerbo

O tu che dormi là su la fiorita
Collina tòsca, e ti sta il padre a canto ;
Non hai tra l’erbe del sepolcro udita
Pur ora una gentil voce di pianto ?

È il fanciulletto mio, che a la romita
Tua porta batte : ei che nel grande e santo
Nome te rinnovava, anch’ei la vita
Fugge, o fratel, che a te fu amara tanto.

Ahi no ! giocava per le pinte aiole,
E arriso pur di visïon leggiadre
L’ombra l’avvolse, ed a le fredde e sole

Vostre rive lo spinse. Oh, giú ne l’adre
Sedi accoglilo tu, ché al dolce sole
Ei volge il capo ed a chiamar la madre.

9 novembre 1870


Funere mersit acerbo

Ô toi qui dors là-bas sur la colline toscane
Fleurie, au côté de ton père ;
N'as-tu pas à l'instant entendu, parmi
Les herbes du tombeau, une douce voix plaintive ?

C'est mon petit enfant, qui à ta porte isolée
Frappe : lui par qui tu revivais
Dans le grand nom vénéré, lui aussi, mon frère,
Fuit la vie, qui te fut si amère.

Mais non, hélas ! Il jouait dans les jardins fleuris,
Et alors que tout lui souriait, l'ombre l'enveloppa
Pour l'emporter vers vos rives froides et désolées.

Oh ! En ce sombre séjour accueille-le,
Lui qui vers le doux soleil
Tourne la tête, et appelle sa mère.

9 novembre 1870

(Traduction personnelle)








Pianto antico

L'albero a cui tendevi
La pargoletta mano,
Il verde melograno
Da'bei vermigli fior,

Nel muto orto solingo
Rinverdì tutto or ora
E giugno lo ristora
Di luce e di calor.

Tu fior de la mia pianta
Percossa e inaridita,
Tu de l'inutil vita
Estremo unico fior,

Sei ne la terra fredda,
Sei ne la terra negra ;
Né il sol più ti rallegra
Né ti risveglia amor.

Giugno 1871

 
Plainte antique

L'arbre vers lequel tu tendais
Ta main enfantine,
Le vert grenadier 
aux belles fleurs vermeilles,

Dans le verger solitaire et muet
Reverdit à présent
Et juin le vivifie
Par sa lumière et sa chaleur.

Toi, fleur de ma plante
Blessée et desséchée,
Toi, de l'inutile vie
Ultime et unique fleur,

Tu es dans la terre froide,
Tu es dans la terre noire ;
Et le soleil ne te réjouit plus
Pas plus que l'amour ne te réveille.

Juin 1871

 (Traduction personnelle

 






Images : en haut, Site Flickr

au centre, Aldorindo Tartaglione  (Site Flickr)

en bas, Alessandro Grussu  (Site Flickr)




1 commentaire:

  1. Oh, mon disque préféré ! Sublime... Kathleen Ferrier... Cette voix de contralto presque désincarnée, ce timbre exceptionnel et ces lied de Mahler( Textesde Friedrich Rückert ?)
    Ils sont bien tristes ces poèmes... La mort d'un enfant aimé : la plus grande et injuste douleur...
    "Je respirai une suave senteur de tilleul.
    Dans la chambre se dresse
    une branche de tilleul,
    le don
    d'une main chère..."

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