Un extrait de Marina Bellezza, le deuxième roman de Silvia Avallone, après Acciaio (traduction française disponible chez Liana Levi, sous le titre D'acier), dont l'action se déroulait à Piombino, entre la mer et les aciéries. Cette fois-ci, nous sommes dans les grands espaces de la Valle Cervo, dans le Piémont, du côté de Biella, la ville de naissance de l'auteur. On retrouve dans ce livre l'énergie, le souffle narratif qui portait déjà le premier livre, la grande capacité de l'auteur à faire vivre des personnages attachants (ici, Marina, une jeune fille obsédée par la réussite dans le monde du spectacle, typique de l’Italie berlusconienne, et Andrea, qui voudrait revenir aux origines et faire revivre la ferme de son grand-père dans les montagnes de Biella) et à les inscrire dans un territoire, qui n'est pas seulement un décor, mais qui devient une sorte de matrice du récit.
La source est située à 1858 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le Monte Cresto, et on peut y accéder à partir de Piedicavallo, par un ancien sentier muletier, en deux heures si l'on marche d’un bon pas. On la nomme Lac de la Vieille, et c’est un miroir sombre en raison de sa profondeur, entouré d’une corolle de rochers nus et effilés. Une légende veut que le soir de ses noces, une femme, après avoir attendu son époux qui venait d’être assassiné, se soit retirée là-haut où elle l’a attendu pour l’éternité. Inutilement. Sans jamais accepter de se rendre à l’évidence de sa disparition.
C’est là que naît le torrent Cervo qui a creusé au fil du temps la vallée homonyme [Valle Cervo], le long de laquelle ont été bâtis Piedicavallo,
Rosazza, San Paolo Cervo, la Balma, Sagliano Micca, Andorno Micca, Biella.
C’est là que se trouvaient les filatures où au dix-neuvième siècle
travaillaient surtout les femmes, les lanine qui, à la différence de leurs
maris, n’ont jamais quitté les lieux où elles étaient nées. Le torrent suit
ensuite son cours après Biella, passant par Cossato et Castelleto Cervo, en
traversant la plaine, rejoint par d’autres affluents comme l’Oropa et l’Elva,
en s’élargissant et en ralentissant son débit avant de se jeter dans le Sesia,
où il meurt.
Dans l’une des ses rédactions d’écolière, Marina avait raconté les
promenades qu’elle faisait avec sa mère dans les après-midi d’été le long de la
rive droite du torrent, qu’elle appelait "le Po" ce qui en augmentait les dimensions de ses rives et son débit. En effet, un enfant né dans la
vallée apprend à bâtir son monde autour de ses rapides ; il en perçoit
très tôt la force originelle, l’élément fondateur, et il sait que sans le
torrent Cervo rien d’autre n’aurait jamais existé.
Marina Bellezza avait passé
la plupart des étés de son enfance à la Balma, se baignant dans les courants glacés, buvant leur eau ferreuse, s’essayant à pêcher les truites avec
des cannes rudimentaires, dépourvues de moulinet. Et elle avait passé presque
tous ses dimanches d’automne à aider Paola à ramasser des châtaignes, et
Raimondo à chercher des champignons.
Dans
un lieu comme celui-là, ce sont encore les saisons qui rythment les journées,
et non pas le passage du temps. Mai est le mois des transhumances, octobre est celui du
retour vers la plaine. Les troupeaux remontent la vallée, traversent les
villages, et leurs sonnailles attirent les rares habitants aux fenêtres. A la
fin de l’été, ils font le chemin inverse. De façon cyclique, chaque année.
Tous
ceux qui naissent près des rives du torrent, sans même le vouloir, s’imprègnent
de ce silence, cette immobilité, cet abandon. Tous ceux qui, comme Marina
Bellezza, ont grandi entre Andorno et Piedicavallo, dans une étroite fissure
creusée entre les rochers, isolés du reste du monde, font leur cet enfermement,
qui est d’abord un enracinement, avant de devenir une forme de défense, et enfin
une habitude à résister en toute circonstance ; à s’adapter à
l’imperfection de la vie.
Images : grazie a Rosei83 (Site Flickr)
Une présentation du roman par Silvia Avallone (en italien, bien sûr !)
Une présentation du roman par Silvia Avallone (en italien, bien sûr !)
"Tous ceux qui naissent près des rives du torrent , sans même le vouloir, s’imprègnent de ce silence, cette immobilité, cet abandon.(...) isolés du reste du monde, (ils) font leur cet enfermement, qui est d’abord un enracinement, avant de devenir une forme de défense, et enfin une habitude à résister en toute circonstance ; à s’adapter à l’imperfection de la vie. "
RépondreSupprimerComme cette jeune femme écrit juste !
Le caractère de ces riverains du torrent est à l'image de cette nature qui est toute résistance et accueil mêlés. Merci pour la traduction.
Et puis une promenade dans ces photos somptueuses pour accroitre le bonheur...
Beaucoup de justesse, en effet ; cette jeune femme n'est sans doute pas une grande styliste, mais elle sait créer de beaux personnages et faire vivre les lieux avec une grande intensité. Cela m'avait déjà frappé dans "D'acier" et c'est peut-être encore plus évident dans ce deuxième roman. Le livre sera probablement bientôt traduit en français et j'en recommande vivement la lecture !
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