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mardi 29 octobre 2013

Une leçon d'absence







Un dimanche de janvier dans Ferrare ne se met en place en nous qu’à Paris, aux premiers jours de mars. Si deux ou trois photographies font tant pour cette installation dans la présence, est-ce parce qu’elles sont médiocres, plutôt floues ? Elles ajoutent à la vacuité constitutive du lieu, du jour, de l’heure, de notre errance et de notre âme. Gommant la contingence, méprisant l’épisode, embrumant le soir qui déjà tombait si tôt, elles nous sont une leçon d’absence, et nous rappelant aux vertus de cet art douloureux, elles nous invitent à nous en souvenir toujours, au fort des émotions les plus intenses comme des heures les plus pâles, au fort de ce que nous sommes dans l’ici et dans le maintenant, au fort si fort indifférent des villes inconnues. Elles nous montrent objectivement combien nous faisons défaut au réel sans lui manquer si peu que ce soit, sans qu’il songe seulement à s’apercevoir de notre invisibilité, et combien il peut y avoir de jeu, dans ce grand vide que nous lui ménageons en nous-même. Il serait urgent d’y penser toujours, quand nous courons les chemins : à ce néant de notre être qui nous a précédé sur ces lieux, qui nous y suivra pour jamais, et qu’il faudrait avoir le courage de ne quitter pas un instant de l’œil, quand nous traversons Perast, nous recueillons dans Mantoue, tombons de sommeil sur ce papier ou croyons reconnaître précisément la configuration de l’abîme familier dans le plan de Trani, dans la lumière du port et sur ses façades closes.

Renaud Camus  Fendre l'air, Journal 1989 éditions P.O.L, 1991






Images : en haut, Site Flickr

en bas, Michele Mig  (Site Flickr)

1 commentaire:

  1. Oh, cet homme va loin à la rencontre du néant. Superbes photos pour accompagner le difficile d'écrire la mort ou plutôt cet écrin de solitude dans lequel elle se sertit comme un papillon qui replie ses ailes et se confie à l'enclos d'une fleur au soir tombant. Un pèlerin du vide et du crépuscule, ce Renaud Camus... Son "Journal" est hanté par l'absence, donc par la brume. Il écrit depuis cette frontière floue, émerveillé par la beauté du monde et la trouvant inhabitable.
    Il faudrait, de l'autre côté de la solitude, de la perte d'un ami ou de la mort, une immensité d'amour qui rendrait chaque seconde aussi dense que l'éternité...

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