Vendredi 6
juillet, une heure du matin (le 7). Des lieux reviennent, des circonstances,
des épisodes, qui pourtant n’avaient pas paru spécialement marquants sur le
moment – et je pense à des souvenirs de voyage. Quelquefois il y a eu une
étape, pour le souvenir, le pilier d’une arche d’un pont. Ainsi cet hiver j’ai
dit à Jeanne, au téléphone, que j’étais en train de boire du chocolat (que m’avait
préparé Pierre, pour me réchauffer dans l’atelier). Elle en fut surprise, parce
que ce n’est guère dans mes habitudes. Elle a dit :
« Ah, c’est le
chocolat de Mirandola qui vous a donné cette envie ? »
En effet nous
avions pris du chocolat à la terrasse d’un café de La Mirandole, dans les
derniers jours d’octobre ou les premiers de novembre, je pourrais facilement
retrouver la date précise, si nécessaire – plus exactement Jeanne et Pierre
avaient pris du chocolat, et moi j’avais d’abord résisté à cette tentation et m’étais
contenté d’un verre d’eau minérale, ou plutôt non, d’une tasse de café, car j’avais
été pris d’une de mes brusques attaques de sommeil, et j’avais désiré du café
pour essayer de me tirer de là, c’est même pour cette raison que nous nous
étions assis à la terrasse de ce bar du théâtre, je crois, non loin du château
des Pics, sur la large esplanade qui mène d’une traite, à partir du boulevard
de ceinture, le long des anciens remparts, au cœur de la ville et du municipio.
Mais leur chocolat avait l’air si bon que j’avais cédé à la tentation moi aussi ;
et de fait il l’était, bon, et si épais qu’une petite cuillère s’y tenait
debout sans autre appui que la consistance du breuvage, ainsi qu’il faut qu’il
en aille, je crois, selon je ne sais quelle image d’Épinal du chocolat.
Ou bien
sont-ce les tremblements de terre du printemps dernier, très sévères pour
Mirandola, qui m’ont remis en tête cette ville et cette étape ? Est-ce d’avoir,
dans le même temps, dû écrire quelques pages sur Jean Pic et sur son neveu
Jean-François ? L’oubli ne menaçait pas, de toute façon, ce n’est pas
cela. Mais quelque chose s’est passé qui a fait de cette heure, de cette petite
cité assez ordinaire, presque laide à l’aune des villes historiques italiennes,
la matière de constantes résurgences en images, une fidèle de mes insomnies,
allais-je écrire – mais non, je ne souffre guère d’insomnies, touchons du bois,
ces temps-ci ; et je n’ai même pas besoin d’insomnie pour penser à elle
sans y penser.
Renaud Camus Vue d’œil, Journal 2012 Éditions Fayard, 2013
Images : en haut, merci à Andrea V.
en bas, (1) Site Flickr
J'aime l'honnêteté de la quatrième de couverture que l"on peut lire en cliquant sur le titre "Vue d’œil". Je n'aime pas les choix et les écrits politiques de Renaud Camus mais j'apprécie ses photos et son écriture (Journal) dont nous avons eu accès de nombreuses fois, ici. Cet atelier fait rêver. Ce qui est dit du chocolat aussi.
RépondreSupprimerEt l'évocation de cette ville frappée par le tremblement de terre ; triste. Kaléidoscope...
Ces choix politiques ne me plaisent pas du tout non plus, mais j'aime l'écriture de Renaud Camus, surtout quand il est question de l'Italie. Il y a beaucoup de légèreté et de profondeur dans ce passage, une grâce dans l'évocation d'un souvenir à la fois banal et inoubliable ; je ne vois pas pourquoi il faudrait renoncer à cette beauté pour des questions de divergences idéologiques.
SupprimerNous sommes d'accord, Emmanuel. Ce journal auquel nous avons accès souvent est effectivement d'une grande beauté, comme les photos.
RépondreSupprimer