On voit tant de
chats à Sienne, qu’il semble ne point y avoir de chiens, ou les chiens se sont
faits chats, peut-être. J’en avais neuf, disais-je, sous ma terrasse
rouge ; et deux étaient si hauts sur pattes, qu’après tout c’était sans
doute d’anciens lévriers qui s’étaient chattés pour vivre à Fonte Branda. Tout
le monde, à Sienne, aime les chats. Il en est deux, aux couleurs de la ville,
qui sont nourris aux frais de l’État, dans le Palais de la République. Je n’en
suis pas sûr, et je n’ai pas consulté les Olims de la Cité, au palais Piccolomini ; mais j’espère qu’il en est ainsi. Messieurs les Chats ont
leurs marchands qui pourvoient à les satisfaire : tous les matins et
parfois le soir, le bonhomme passe dans la rue, portant de la rate, du foie, du
mou, du gras-double et d’autres morceaux de choix sur une espèce de tréteau en
forme d’échelle. Il appelle, il fait tinter son grelot ou une crécelle. Les
fenêtres s’ouvrent à tous les étages : un petit panier descend au bout de
la corde, avec la monnaie nécessaire ; et le vieux barbu de blanc, l’Hébé
des minets, échange contre les sous le foie ou la rate, qu’on attend là-haut
avec impatience. J’entends parfois un mia-ou qui module, où le râle du désir se
confond avec le ronron de la joie. Sienne est la ville des chats. Ainsi pas une beauté ne lui manque.
André Suarès Voyage du condottiere, Sienne la bien-aimée
André Suarès Voyage du condottiere, Sienne la bien-aimée
Et il en va ainsi dans beaucoup de contrées bordant la méditerranée. Les chiens se déguisent en chat pour ne pas être chassés. Ici, ils sont nourris et protégés aussi. On ne va pas jusqu'à leur accorder l'asile dans la cuisine, mais, tout de même...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup le néologisme inventé par Suarès : ils se sont "chattés" pour ne pas être chassés...
SupprimerOh, c'est le livre que je lis ces jours-ci et lentement car j'y trouve plein de bonheur. Et dans la même édition !
RépondreSupprimerAlors vous êtes page 471. C'est un peu magique. Je vous imagine en Italie et moi dans ma petite banlieue parisienne, et nous lisons le même livre, en même temps. J'aime bien le petit panier qui descend des fenêtres. Il me manquait les photos mais les voici ici et même le savoureux dialogue de chats de Rossini que je n'ai pas encore écouté. Ah, la belle joie !
En fait, le "Voyage du condottiere" est un des livres que je préfère, et je l'ai lu pour la première fois il y a déjà très (trop) longtemps, dans un beau volume paru dans les années quatre-vingt du siècle précédent aux éditions Granit. Je le rouvre souvent au hasard, pour le plaisir ; c'est vraiment un livre merveilleux, et inépuisable !
SupprimerCe qui est saisissant c'est qu'il parle des villes qu'il traverse comme d'êtres humains. Cela me fait penser Aux "Villes imaginaires" d'Italo Calvino dont chacune portait un nom de femmes mais là on était dans l'imaginaire de Marco Polo, ici, on passe des chats, aux saints, aux rues, aux gens , c'est très littéraire aussi. Je crois que vingt années séparent Venise de Sienne dans ce "voyage". L'écriture est plus sombre, plus ardente.
RépondreSupprimerPS : j'aime les photos du chat aux couleurs dominicaines de la ville : blanc et noir.
Dans ce chapitre, aussi, une approche de la peinture - en particulier celle de Duccio- est vraiment bien charpentée. Quant à la couleur - est-ce à cause de la peinture, de la sculpture- j'aime cette phrase : "elle est de briques rouges, du même ton que la terre du pays..."(Fonte Branda). Il y a beaucoup de rouge dans ces pages. J'aime aussi "les chats sultans et odalisques, se saluant de l’œil au passage" de la page 447. Et cette puanteur dans la rue des tanneries. On croirait un Rembrandt (Le bœuf écorché). Un livre fort et âpre.
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