Dans les
villages de la haute Engadine, il y a des fontaines à l’eau si froide, si
froide, qu’en boire fait se rétracter les gencives, comme si l’on croquait des
blocs de glace.
À la fontaine de Magnas, en Lomagne, chez les Galard, au fond
du parc, l’eau est si calcaire qu’on ne voit plus, de la source, dans le vieux
kiosque de pierre, près des bambous, qu’une motte luisante et jaune, très dure,
où sourd la seule humidité du sous-bois ; mais celle-ci Dastros l’a
chantée, l’obscur poète de Saint-Clar.
Dans l’eau des fontaines d’Auvergne, on
dirait qu’il danse de la lave. D’autres ont des éclats dorés. D’autres sont
blanches comme du lait. Certaines vasques sont pleines de mousse, et dans
celles-ci c’est du cresson. Et dans d’autres, rien n’a coulé depuis des lustres,
par l’embout de laiton rouillé.
Parmi les rochers blancs du Basilicate, naguère
encore (ce voyage-là avait été découvert, Anne avait failli le quitter pour de
bon), les femmes se mettaient en file devant moins d’eau qu’il n’en tombe d’une
cruche, parce qu’elles n’avaient rien d’autre pour se laver. Ailleurs, c’est à
cause de la guerre, les canalisations sont détruites : et les porteuses
sont lasses, les traits tirés pour la plupart, souvent âgées ; et pourtant
l’on n’est pas tout à fait tranquille, même là, même au journal télévisé du
soir : car il suffit qu’une jeune mère jette un regard en arrière, alors
qu’elle s’éloignait déjà, ou qu’une main relève une mèche, sur la tempe d’une
jeune fille, au moment où tout le corps ploie, déjà, vers le lourd baquet qu’il
va falloir soulever, pour que… Comme ceux que le désir laisse en paix ont de la
chance ! Mais non, ce sont des morts… Tandis qu’à Passy, la file
d’attente, près de la statue de Benjamin Godard, c’est pour la pureté d’une
source.
Certaines fontaines ne sont connues que par deux ou trois vers, écrits
dans des langues impossibles. Ce ne sont pas les moins lancinantes pour autant,
en leurs appels entre les branches, entre les lignes, entre les heures.
D’autres n’ont de fontaines que le nom, mais ce nom suffit à vous poindre, et à
suspendre votre plume, au-dessus d’épreuves pleines de fautes : ce sont
des grottes au bord de la mer, ce sont des nymphes poursuivies par des fleuves,
des sirènes changées en rocher, des bassins noirs sous les châtaigniers, où
meurent éternellement des carpes, de ne pas mourir.
Bientôt un très beau livre (à paraître) sur "Les fontaines de Corse" liant les admirables photos de Philippe Jambert aux poèmes d'Angèle Paoli. S'il est d'aussi bonne facture que le précédent "Aux portes de l'île" (éd.Gaéla) cela va être une fête. Merci pour ce beau texte de Renaud Camus et ces belles photos.
RépondreSupprimerLes fontaines... haltes bienheureuses...
Mais je suis toujours allergique aux théories politiques de Renaud Camus, comme la dernière : "le remplacement". Quel dommage qu'un être aussi fin sur le plan esthétique puisse répandre des théories aussi nauséabondes... Il y a là une fracture éthique qui me laisse perplexe...
RépondreSupprimerThéories "nauséabondes", vraiment, Christiane? Avez-vous pris la peine de les lire? Car à mon sens, il ne s'agit nullement de "théories", mais d'analyses. D'analyses construites et argumentée. D'une grande finesse, elles aussi...
RépondreSupprimerJ'ai essayé... il est vrai en oblique ! je préfère son rapport aux paysages et à la littérature. Donnez-moi un extrait de ces analyses que vous prisez. Je vous dirai ce que j'en pense en toute franchise.
SupprimerChers amis, comme vous l'avez remarqué, les extraits que je cite ici n'ont rien de politique. Je préfèrerais donc que l'on discute de cet aspect-là de l’œuvre de Renaud Camus sur d'autres sites ou forums, plus appropriés. Je vous remercie de votre compréhension et de votre fidélité à ce blog.
SupprimerSage Emmanuel, oui, accueillons ici la beauté.
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