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lundi 10 septembre 2012

Una volta, laggiù... (Un jour, là-bas...)




Quelques pages extraites des Carnets d'Ennio Flaiano :

Una volta laggiù, nella pianura padana, il treno si fermò sopra un ponte di ferro. Il sole stava in quel momento scomparendo al limite di una piatta campagna e si accesero le lampade nello scompartimento di terza classe. Ero solo, il cuore mi traboccava di sentimenti mai prima provati e di una malinconia confortante : mangiando le mie provviste, cominciai a piangere. Ero appena un ragazzo e non sopportavo, allora, quegli ammonimenti sconsolati che un paesaggio pieno di esperienza dà volentieri a chi sa guardarlo.

Un jour, là-bas, dans la plaine du Pô, le train s'arrêta sur un pont de fer. À cet instant, le soleil disparaissait derrière une campagne sans relief et les lampes du compartiment de troisième classe s'allumèrent. J'étais seul et mon coeur débordait de sentiments que je n'avais jamais éprouvés auparavant, d'une réconfortante mélancolie : je commençai à manger mes provisions et me mis à pleurer. En ce temps-là, je n'étais qu'un enfant et je ne supportais pas les avertissements désolés qu'un paysage plein d'expérience donne volontiers à qui sait le regarder.

***

Un vetturino ubriaco, puntandomi un dito contro il petto, esclama : «Ad ogni poeta manca un verso.»

Un cocher ivre pointe son doigt sur ma poitrine et s'exclame : «À tout poète, il manque un vers.»

***

Nei miei ritratti infantili sempre mi colpisce uno sguardo di rimprovero, che non può essere diretto che a me. Sarei stato io la causa della sua futura infelicità, lo presentiva.

Dans mes portraits d'enfant, je suis toujours frappé par un regard de reproche qui ne peut s'adresser qu'à moi-même. Le sujet pressentait que je serais la cause de son futur malheur.







Terenzio mi telefona per chiedermi il numero di telefono di Rodrigo. Mi telefona anche Silvestro per chiedermi due biglietti per qualche teatro : non sono forse giornalista ? Uscendo, incontro Diomiro che mi domanda cosa faccio. Dal marciapiedi opposto, Pancrazio mi saluta festosamente. «Vediamoci !» dice Faustino, che incontro poco dopo. Vuol sapere se il mio pastrano è nuovo, il nome del sarto, quanto ho speso complessivamente. Alessandro mi raggiunge di corsa, mi dice che sto ingrassando. Lasciandomi, promette che telefonerà domani.
Quasi ogni giorno, con lievi variazioni, da anni.

Terencio me téléphone pour me demander le numéro de téléphone de Rodrigo. Silvestro me téléphone également pour me demander deux billets pour aller voir une pièce de théâtre : ne suis-je pas journaliste ? En sortant, je rencontre Diomiro qui me demande ce que je fais. Sur le trottoir d'en face, Pancrazio me salue gaiement. «Voyons-nous un de ces jours» me dit Faustino que je rencontre peu après. Il veut savoir si mon pardessus est neuf, le nom du tailleur, combien je l'ai payé en tout. Alessandro me rejoint au pas de course et me dit que je grossis. En me quittant, il me promet de me téléphoner le lendemain.
Et ce, chaque jour, avec de légères variations, depuis des années.

***

Si ritiene che il Colosso di Rodi sia crollato durante un terremoto. Questa non è tutta la verità. Il Colosso di Rodi rovinò per le frasi che i turisti, insieme ai loro nomi, vi incidevano alla base e che, nei secoli, aumentando sempre di numero e di volgarità, ne minarono la resistenza. Il terremoto fece soltanto quel poco che restava da fare.

On considère que le Colosse de Rhodes s'est écroulé au cours d'un tremblement de terre. Ce n'est qu'une partie de la vérité. Le Colosse de Rhodes s'est effondré à cause des inscriptions que les touristes gravaient à sa base, pour accompagner leur nom. Le nombre et la vulgarité des graffitis augmentant sans cesse avec les siècles, ils finirent par le miner. Le tremblement de terre ne constitua que la chiquenaude finale.






Una signora in visita ad un illustre critico se ne va dimenticando l'ombrello sul tavolo. «Lo recensirà.» dice F. a cui il piccolo incidente viene riferito.

Une dame en visite chez un célèbre critique s'en va en oubliant son parapluie sur la table. «Il en fera le compte-rendu.» dit F. à qui est rapporté le petit incident.

***

Illustre Professore, in questa lettera troverà accluso un assegno di lire 50.000, che mi permetto inviarLe a saldo del Suo onorario. Mentre la ringrazio per le Sue attente cure, che mi hanno grandemente giovato a superare il mio deplorevole esaurimento psichico, La prego di credermi, per sempre, il Suo riconoscente e devotissimo Napoleone IV.

Illustre Professeur, vous trouverez dans cette lettre un chèque de 50 000 lires que je me permets de vous faire parvenir pour solde de vos honoraires. Vous remerciant pour vos soins attentifs qui m'ont grandement aidé à dépasser ma déplorable dépression, je vous prie de me considérer éternellement comme votre reconnaissant et très dévoué, Napoléon IV.

***

Viene a mettere il tubo della stufa e lo mette storto. Gli faccio osservare che è storto. Nega. Con un filo a piombo gli dimostro che ho ragione. Allora guarda sorpreso il tubo, il filo e me : «Perché, lo voleva proprio diritto ?» ; e tenta di convincermi che, un pochino storto, il tubo tira meglio. Non mi convinco. Si incupisce : «Non poteva dirlo prima ? Adesso dovrei ributtarlo giù.» «Non si può fare ?» «Ma sì, si può fare !» risponde calmo e serio. Dalla tasca gli esce il giornale del suo partito. Ha imparato a esprimersi come i polemisti del suo giornale. Quando gli chiedo se ha ricordato al muratore di portare il gesso, mi risponde, grave : «L'ho inchiodato alle sue responsabilità.»

L'ouvrier vient mettre en place le tuyau du poêle et l’installe de travers. Je le lui fais remarquer. Il nie. Muni d'un fil à plomb, je lui démontre que j'ai raison. Alors, surpris, il observe le tuyau, le fil à plomb, puis me regarde :«Pourquoi, vous le vouliez vraiment droit ?» ; et il tente ensuite de me convaincre que lorsque le tuyau est légèrement penché, le poêle tire mieux. Je ne suis pas convaincu. Son visage s'assombrit : «Vous ne pouviez pas le dire avant ? Maintenant, il va falloir que je le redémonte.» «Ce n'est pas possible ?» «Mais oui, c'est possible !» répond-il calmement, sérieusement. Le journal de son parti dépasse de sa poche. Il a appris à s'exprimer comme les polémistes de son journal. Lorsque je lui demande s'il a rappelé au maçon d'apporter du plâtre, il me répond gravement : «Je l'ai mis devant ses responsabilités.»

Ennio Flaiano  Diario notturno  Ed. Adelphi  (pour la traduction française : Journal nocturne, Editions du Promeneur, traducteurs : Soula Aghion et Christian Paoloni)








Images : (1) Stefano Teseo  (Site Flickr)

(2)  Wiki Commons

(3)  Giuseppe Mannarà  (Site Flickr)

(4)  Alessandra Di Pietro  (Site Flickr)




5 commentaires:

  1. Extrait 4 : mais dites donc, c'est exactement le blockbuster américain « Un jour sans fin », ça...
    (C'était ma minute culturelle.)

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    1. Ah oui, il y a de cela... Ou l’Éternel retour à l'échelle de la Via Veneto...

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  2. Une maxime d'Antoine Blondin que je viens de découvrir sur un blog voisin : "l'homme descend du songe." Idéale pour Flaiano, non?

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    1. Oui, et Blondin a lui aussi le sens de la formule et de l'aphorisme. Je ne me souviens plus très bien de son roman "l'Ecole buissonnière", mais j'ai toujours en tête son incipit : "Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides."...

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  3. Etonnant la caméra de l'image 4. Elle doit probablement enregistrer les entrées et les sorties des spectateurs. Le spectacle continue!

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