"In su Monte Orthobene
Regnat Su Redentore
Protettor'e Nugoro
In su Monte Orthobene
Su Santu Redentore
A tottus cheret bene
A tottus dat amore"
Dans son roman Stirpe ("Lignée", "Souche", ou "Descendance"), Marcello Fois raconte l'histoire d'une famille sarde de Nuoro, les Chironi, depuis la fin du dix-neuvième siècle (l'action commence en 1889, avec la rencontre des fondateurs de la lignée, Michele Angelo, le forgeron, et Mercede, qui deviendra son épouse). On suivra les personnages jusqu'en 1943, mais comme il est dit dans les dernières lignes, "la fin n'est pas une fin", puisque Stirpe n'est que le premier ouvrage d'une série de trois où l'on suivra la lignée des Chironi jusqu'à nos jours (le deuxième vient de paraître en Italie sous le titre Nel tempo di mezzo (Dans le temps du milieu), il reprend l'action en 1943 pour aller jusqu'en 1978).
À travers cette saga familiale, Marcello Fois raconte aussi les événements qui ont marqué l'histoire de la Sardaigne, et de l'Italie : dans ce premier volume, c'est essentiellement la boucherie de la "Grande Guerre" et la montée du fascisme, mais aussi le phénomène du brigandage. L'extrait que je cite ici se situe au début de l'ouvrage ; il raconte l'installation sur le mont Ortobene, qui domine Nuoro, de la statue du Christ Rédempteur, en 1901 :
Il decimo compleanno dei gemelli fu festeggiato con una donazione segreta per l’erezione
di una statua del Redentore sul Monte Orthobène.
Tutta la cittadinanza si era
mobilitata, ognuno in rapporto alle proprie possibilità, perché prendesse corpo
questo progetto artistico, culturale e religioso che avrebbe messo Nuoro alla
stregua delle cittadine della Nazione e al centro delle celebrazioni per l’Anno
Santo del 1900.
(...)
E comunque, già quando la statua in pezzi da saldare
arrivò a Cagliari sul piroscafo Tirso, ognuno dei nuoresi era in grado di dire
perfettamente quale brandello toccasse a ciascuno di loro in base a quanto
avevano offerto per pagarla. E quando venne ricomposta in cima al monte, con la
faccia rivolta verso quel villaggio pieno di sé, apparve per quello che era :
un Cristo di carne, virile, muscoloso, sopraccigliuto, circense. Un Laocoonte
che si sia appena liberato dai serpenti. Corpo pagano, pettorale ampio.
Seminudo col sudario che gli aderisce alla pelle trattenuto da un vento
selvaggio, anche se di lì a poco, nell’ascesa, ci si aspetta che gli scivoli
lungo le cosce possenti. Questo videro i padri di ogni nuoresità e, in qualche
modo, vi si riconobbero. Perché c’era qualcosa che loro sapevano bene di se
stessi in quella pesentezza che spiccava il volo. In quella leggerezza di
bronzo.
La vulgata avrebbe poi raccontato che quella statua era costata le vite
delle persone più care allo scultore Vincenzo Jerace : la figlioletta era morta
durante la fusione, e la moglie subito dopo la sistemazione. Per questo,
raccontano, quel Cristo appare tanto malinconico. Si sono spinti a dire che il
volto già scolpito, sorridente, mutò d’espressione per accordarsi al dolore
immenso dell’artista. Sicché, come la cera persa, scomparve ogni lietezza dal
suo viso proprio quando Luisa Jerace, moglie di Vincenzo, debilitata dal lutto
recente, vedendo il cielo attraversato dalle nubi che scorrevano dietro alla
statua magnifica ebbe l’impressione che quella le precipitasse addosso e,
terrorizzata, cadde a terra morta.
Le dixième anniversaire des jumeaux fut célébré avec un don confidentiel pour l’érection d’une statue du Christ Rédempteur sur le Mont Ortobene.
Toute la population s’était mobilisée, chacun selon ses propres possibilités, pour que puisse prendre corps ce projet artistique, culturel et religieux, qui aurait élevé Nuoro au rang des plus grandes cités de la Nation en la plaçant au centre des célébrations pour l’Année Sainte 1900.
(...)
Et toutefois, dès que la statue en pièces détachées arriva à
Cagliari sur le paquebot Tirso, chacun des habitants de Nuoro était
parfaitement capable de dire lequel des différents morceaux lui revenait en
fonction de l’importance de la somme qu’il avait offerte pour la payer. Et
quand elle fut reconstituée au sommet de la montagne, avec le visage tourné
vers ce bourg imbu de lui-même, elle apparut dans toute sa vérité : un
Christ de chair, viril, musclé, aux sourcils marqués, spectaculaire. Un Laocoon
à peine libéré de ses serpents. Un corps païen, au poitrail ample. À moitié nu, le linceul collé à la peau sous l’effet d’un vent sauvage, même si à tout moment, pendant l’ascension, on
pouvait s’attendre à le voir glisser le long des cuisses puissantes. Voilà
ce que virent les gens de Nuoro, et, d’une certaine façon, ils s’y reconnurent.
Parce qu’il y avait quelque chose qui leur était bien familier dans cette
pesanteur qui prenait son envol. Dans cette légèreté de bronze.
La vulgate
aurait ensuite raconté que cette statue avait coûté la vie aux personnes les
plus chères au sculpteur Vincenzo Jerace : sa fille était morte pendant
que l’on procédait à la fonte, et son épouse tout de suite après qu’on l’eut
installée. On raconte que c’est pour cela que l’expression du Christ est si
mélancolique. On alla même jusqu’à affirmer que le visage déjà sculpté,
souriant, avait changé d’expression pour s’accorder à l’immense douleur de
l’artiste. De sorte que, comme la cire perdue, toute gaieté disparut de son
visage à l’instant même où Luisa Jerace, l’épouse de Vincenzo, affaiblie par son
deuil récent, voyant le ciel lourd de nuages qui défilaient derrière la
magnifique statue, eut l’impression que cette dernière allait s’abattre sur
elle et, terrorisée, s’effondra sur le sol, morte.
Stirpe est paru en français aux éditions du Seuil en mai 2011, sous le titre La Lignée du forgeron, dans une traduction de Jean-Paul Manganaro.
Images : en haut, Sergio Poppi (Site Flickr)
au centre, Paolo Murgia (Site Flickr)
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