Il cucchiaio di Dio (Cochlear Dei, La Cuillère de Dieu) est un petit livre très élégant qui reprend la tradition du carme (ou carmen, carmina au pluriel), une poésie latine au ton solennel sur des thèmes souvent historiques ou guerriers. Ici, la forme reste très classique (des strophes sapphiques, c'est-à-dire composées de trois hendécasyllabes et d'un vers adonique (5 syllabes)), mais le fond l'est moins puisqu'il s'agit de célébrer un footballeur, l'éternel capitaine de la Roma, Francesco Totti, au moment où il prend une retraite méritée après vingt-cinq ans d'exploits divers dans son équipe (qu'il n'a jamais quittée, malgré les ponts d'or que lui faisaient régulièrement les plus grandes équipes européennes et même américaines) ou dans l'équipe nationale d'Italie.
Disons le tout net, l'auteur de ce joli petit livre, Alvaro Rissa, ne prétend pas égaler les auteurs grecs de l'Anthologie Palatine, ni les latins Catulle ou Horace, mais on lit avec intérêt et amusement ces vers plaisants qui ont au moins le mérite de faire revivre le latin, au moment où les langues anciennes ne semblent plus avoir la côte auprès des ministres de l’Éducation... Le titre du recueil, La Cuillère de Dieu, fait référence à l'une des feintes les plus utilisées au football (la cuillère, justement) : pour les tirs de pénalité, au lieu de frapper en force, le joueur frappe sans élan une pichenette du cou-de-pied en visant le centre du but, généralement juste sous la barre transversale afin de piéger le gardien adverse. C'est un geste risqué car en visant la position du gardien d'une frappe molle, le tireur doit escompter que celui-ci plonge par anticipation d'un côté ou de l'autre. Si ce n'est pas le cas, le gardien peut capter le ballon sans difficulté. On appelle aussi cela une panenka, du nom d'un joueur polonais qui a été le premier à réaliser parfaitement ce geste. En Italie, Totti était célèbre pour sa grande maîtrise de cette feinte, son cucchiaio le plus glorieux étant celui qu'il a réussi en 2000 face au gardien de but des Pays-Bas, permettant ainsi à son équipe d'accéder à la demi-finale de l'Euro. Je cite ici deux extraits de cette ode à Totti : les trois premières strophes et celles où est évoqué le fameux cucchiaio (la traduction française est personnelle).
Gloriam dent Di Stephano perennem
caelites Messique, et ament Casillas,
Socratem, Zicum, Eusebium, Carecam
et Maradonam.
Villa, Matthaeus, Scyphus omne in aevum
audiant de se, Caligaris, Alves,
Stoïcus, Torres, Platini Altafinique
incluta classis.
Nullus at nostro tibi per iocator
saeculo, Francisce, fuit repertus.
Papa et ipse voluit vocari
nomine Tottis.
Alvaro Rissa Il cucchiaio di Dio il melangolo Ed. 2017
Alvaro Rissa Il cucchiaio di Dio il melangolo Ed. 2017
Que les Dieux accordent la gloire éternelle
à Di Stephano et à Messi, à Casillas,
Socrates, Zico, Eusebio, Careca
et Maradona.
Et également à Villa, Matthäus, Scifo,
Caligaris, Alves,
Stoichkov, Torres, et à la classe pure
de Platini et Altafini.
Mais en un siècle il n'y a jamais eu
un seul joueur égal à toi, ô Francesco.
Et le pape lui-même à voulu qu'on l'appelle
Quodsi ad undecim metra ducitur res,
hic petit portae latera, ille centrum
de potentia quatit usque, temptans
omne per omne ;
hic pede incerto sine vi rigorem
calciat metu remoratus, ille
captus orgasmo stolide in tribunam
sphaeran adegit.
Sin rigor Romae datur aut secundae
poena, tunc pallam rapit ecce Tottis,
sistit in tellure levique tactu
mittit in auras.
Illa it at retro rotat ipso eundo
dumque ianitor stupefactus adstat
pigra traiectu cadit indolenti
res ut inanis.
Nulla vis, tota ars geniusque purus :
sphaera cum retem tetigit quietam,
crederes velum tenui moveri
flamine venti.
Non abest praesentia nec statura,
spiritus, mens, intuitus, medullae.
Quid queat natura probavit ipso
corpore Tottis ;
Alvaro Rissa Il cucchiaio di Dio, il melangol Ed. 2017
Alvaro Rissa Il cucchiaio di Dio, il melangol Ed. 2017
Quand on en est aux coups de pied de réparation,
l'un vise les côtés de la cage, l'autre frappe toujours
très fort au centre, en tentant
le tout pour le tout ;
il y a celui qui frappe le pénalty de manière faible et imprécise
paralysé par la peur ; celui qui cède
à la panique et envoie sottement
le ballon dans les tribunes.
Mais si l'on accorde un penalty à la Roma,
ou un coup-franc, Totti s'empare du ballon,
le place au sol et d'une touche légère
le fait bondir dans les airs.
Le ballon, dans sa trajectoire, pivote en arrière,
et tandis que le gardien le regarde étonné,
il retombe calmement, doucement,
comme en apesanteur.
Ce n'est pas de la force, c'est de l'art, du pur génie :
quand le ballon s'enfonce dans les filets inertes,
on croirait voir s'agiter un voile
sous la pression d'un souffle de vent léger.
Il ne lui manque ni la force physique ni la stature,
ni les réflexes, l'intelligence, l'intuition, le courage.
Dans la personne de Totti la nature a montré
Je suis très étonnée par ce billet, ce poème, le latin, ces photos. Je ne regarde jamais un match de foot. Malgré ces gestes précis (de la chorégraphie) notés ici mais à cause de la virulence des supporters, de leurs cris les soirs de match, de leur attitude dans les tribunes, dans le métro, a cause aussi des joueurs qui s'achètent comme des étalons. Un monde de fric, de tricherie.
RépondreSupprimerLà où c'est beau... dans les clubs de province, les associations de jeunes sportifs, les gamins qui jouent dans la rue, sur une plage.
A force, je me suis complètement désintéressé du foot.