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dimanche 7 juin 2015

Pauvre François !





Les dernières lignes du très beau François d'Assise de Joseph Delteil :


Pauvre François ! C'est un vaincu comme les autres (sans cigüe ou bûcher). On a dénaturé sa Portiuncule, violenté son cadavre. Sa vraie Règle (la Regula Prima de 1210) est ignorée, perdue. « Il n'y a jamais eu qu'un seul franciscain, dit mélancoliquement Chesterton, c'est saint François. »
Pauvre François !
C'est un scandale de voir la pauvre Portiuncule joliment "enjolivée", emboîtée, encagée comme un oiseau dans cette baroque bâtisse de porphyre et d'or : Sainte-Marie-des-Anges.
C'est un sacrilège d'avoir enseveli la dépouille du Petit Pauvre dans cette merveilleuse basilique d'Assise, faite pour les Papes et les Rois. Au mépris de sa volonté. François désire reposer à jamais dans sa Portiuncule, ce sont ses "dernières volontés". On a abusé de son cadavre : un détournement de cadavre... Ni piété ni chef-d’œuvre ne justifient ça. C'est insupportable !
« Si on vous chasse par la porte, rentrez par la fenêtre ! » nous a dit saint François. Nous y veillerons !






Nous ?... toute une bande de conjurés, toute une Camorra, les maquisards de saint François... Le suprême vœu de saint François, la suprême revendication de Claire, qui sur son lit de mort a voulu serrer dans ses mains d'agonie, comme pour la défendre jusqu'à la tombe et par-delà la tombe, la Bulle de Pauvreté... (qui la lui arrachera de ses mortes mains ?...) Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! c'est notre Pacte
Un beau jour, un de ces quatre matins... Après tout, un tremblement de terre nous donne l'exemple, ce tremblement de terre en 1832 qui rasa Sainte-Marie-des-Anges de fond en comble, ne laissant miraculeusement debout que la vieille petite Portiuncule de saint François... n'y voyez-vous pas malice, bonnes gens, pas la "main de Dieu" ?... Nous étions plusieurs centaines, armés de pics, de marteaux, de plastic, par une grasse nuit sans histoire... nous la ferons sauter à la dynamite votre Sainte-Marie-des-Anges, à la dynamite, rasibus. François le veut !... On força les portails à la hache, on bascula les piliers à bout de bœufs... tout s'écroula comme un château de cartes, par voûtes et parois, dans une triangulation parfaite... on déblaya les décombres au bull-dozer... jusqu'à ce qu'apparût dans son nid de richissimes ruines l'adorable petite Portiuncule de saint François...
Égide et Léon se faisaient la courte échelle dans leur tombe pour voir ça. Masseo s'en dandine d'aise, plus tambour-major que jamais...




Pendant ce temps, les autres conjurés opèrent à la basilique d'Assise. Ils ont fracturé la crypte à grand attirail, soustrait le Reliquaire de saint François. Et voici qu'ils nous l'apportent à grands pas d'aplomb par la vaste nuit processionnelle, sur leurs épaules d'amour. Ce Reliquaire étrangement léger et volage ce soir, comme s'il était de la conjuration. Le vent fera rage, il est de connivence. Les hiboux feront le guet, ils ont le mot d'ordre. L'Italie dormait dans son sommeil de coquillage. Quelque part là-haut à la latitude de Saint-Damien, sainte Claire souriait...
Nous nous hâtions, pleins de sueur et de volupté, le cœur plus palpitant que les palpitantes étoiles. Nous frayant un chemin à bec et ongles à travers les blocs de pierre. Enfin nous voici dans la Portiuncule. Il suffit de soulever trois dalles dans le chœur, de creuser trois pieds. C'est là que nous ensevelirons saint François... là dans sa Portiuncule, là où il veut dormir... À la françoise !

Joseph Delteil  François d'Assise  Grasset, 1960 (repris dans Œuvres complètes, Grasset, 1961






Un site consacré à Joseph Delteil



Images : en haut, Sacro Speco  Monastère de San Benedetto, Subiaco

au centre, (1)  Lorenzo Durandetto  (Site Flickr)

(2) Francesco Funaro  (Site Flickr)

(3) Paolo C.  (Site Flickr)

en bas, Fratello Sole, Sorella Luna, de Franco Zeffirelli




7 commentaires:

  1. J'aime beaucoup cette musique.
    Quant à l'absurdité de "la pauvre Portiuncule joliment "enjolivée", emboîtée, encagée comme un oiseau dans cette baroque bâtisse de porphyre et d'or : Sainte-Marie-des-Anges". L’Église est forte dans ce domaine !!! idem de laideur à Lourdes, à Lisieux... Ah la la !
    Un beau livre de Christian Doumet paru chez Fata Morgana : "Trois huttes" dit l'essentiel.de ces abris précaires où de grands penseurs, poètes, mystiques ont demeuré :
    "Plus il allait, plus il se dépouillait. Un toit lui suffisait maintenant. Les murs même étaient de trop. Quel toit ! Un lit de feuilles séchées sur un croisillon de branches. D'ailleurs il se tenait toujours dehors, sur le seuil."

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    1. Pour la musique, il s'agit d'une chanson d'Angelo Branduardi qui a consacré tout un disque à François d'Assise (le titre est "L'Infinitamente piccolo" ["L'infiniment petit"]) Ce titre-là évoque la mort de François ("Il ne faisait pas encore nuit / Le samedi après les vêpres / Frère François inclina la tête / Et retourna vers le Seigneur / Son âme comme une lumière / S'éleva par-delà les nuages / Comme un navire porté par la mer / Il entra dans la gloire du Ciel / Et tandis que les ombres disparaissaient / On entendit le chant des alouettes / Elles tournèrent au-dessus des maisons / Et longtemps retentirent leurs plaintes / Il ne faisait pas encore nuit / Le samedi après les vêpres / S'étant accompli en lui tous les mystères / Frère François rendit le dernier soupir.") Au début et à la fin de la chanson, on entend le "Miserere" chanté en polyphonie par le groupe corse I Muvrini.

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    2. C'est une merveille. La petite flûte qui accompagne les voix pendant le Miserere puis celle d'Angelo Branduardi est étonnante, évoquant ce chant de l'alouette, si fragile, si solitaire, si pur. Elle a des sons de flûte des Andes, une sorte de pipeau champêtre. Le texte est beau aussi liant la plainte des oiseaux à l'effacement sur cette terre de cet être "infiniment petit" et si lumineux que sa présence teintait le ciel d'aube au seuil de la nuit.

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  2. Je ne retrouve pas dans votre blog cette magnifique statue de marbre sculptée en 1601 par Stefano Maderno et représentant sainte Cécile comme elle tomba après les coups et telle que on la trouva. Dans la représentation des saints, cette statue est un chef-d’œuvre de grâce. J'aimerais la revoir et relire les lignes que vous lui aviez consacrées.

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    1. J'ai vu cette statue dans une église romaine, mais je ne crois pas en avoir parlé dans ce blog. Pour retrouver facilement une référence, vous avez un outil très utile tout en bas de la page (descendre avec l'"ascenseur" qui se trouve à droite de la page jusqu'en bas de votre écran), intitulé "Rechercher dans ce blog".

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    2. Ah, je l'ai retrouvé ! C'était sur >"Terres de femmes", le blog d'Angèle Paoli. Mille excuses mais parfois vous avez les mêmes goûts surtout pour l'Italie (littérature (que vous traduisez) - cinéma - art...) et pour la Corse.
      http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2007/03/cecilia_la_sans.html
      Profitez-en pour regarder , c'est très beau.

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