Un poème de Virgilio Giotti, l'autre grand poète de Trieste avec Umberto Saba, moins connu toutefois que ce dernier, sans doute parce qu'il a choisi comme moyen d'expression le dialecte triestin, dans lequel presque toute son œuvre est écrite. I zacinti [Les jacinthes] date de 1909 ; Giotti a vingt-trois ans et l'idylle amoureuse et familiale qu'il imagine dans ce poème, où la lumière qu'émanent les jacinthes est semblable à la flamme qui illumine un amour, est encore tout à fait imaginaire (il ne rencontrera Lisa Markovic, qui deviendra la compagne de toute une vie, qu'en 1912). On perçoit nettement dans le poème l'influence de Pascoli, mais aussi des poètes "crépusculaires". On notera également un écho léopardien dans les vers 9 et 10, qui rappellent le début du poème Il Sogno [Le Songe] (Canti, XV) : "Era il mattino, e tra le chiuse imposte / Per lo balcone insinuava il sole" ["C'était le matin, et par les volets clos de la fenêtre, le soleil glissait"].
I zacinti
I do rameti de zacinti
bianchi e lila li vardo, ch’i xe come
el viso tuo de prima
che, dàndomeli, un poco te ridevi,
tignìndomeli in man co’ le tue fermi,
pàlida e i denti bianchi.
Pàlidi qua in t-el goto,
sul sbiadido del muro,
’rente el sol che vien drento, che camina
su la piera frugada del balcon.
E tuti lori no i xe che quel pàlido
lila slusente : ’na fiama lassada
là ardir che intanto xe vignudo giorno ;
e el bon odor ch’i gà impinì la casa.
Come ’sto nostro amor,
che tuto lui no’ ’l xe che un gnente là,
un pàlido ; ma un pàlido che lusi,
che ardi, e un bon odor, una speranza,
che me impinissi el cuor co me la sento :
’na casa mia e tua,
mèter insieme la tovàia,
mi e ti, su la tola,
con qualchidun che se alza
su le ponte d’i pie
pici e se sforza de ’rivar coi oci
su quel che parecemo.
Virgilio Giotti Piccolo canzoniere in dialetto triestino
Les jacinthes
Les deux petites branches de jacinthes
blanches et lilas, je les regarde, pareilles
à ton visage d'avant
alors qu'en me les offrant, tu riais un peu,
et les serrais dans ma main, fort, avec les tiennes,
pâle et les dents blanches.
Pâles ici dans le verre,
sur le fond fané du mur,
en regard du soleil qui pénètre, qui passe
sur la pierre usée de la fenêtre.
Elles ne sont en somme que ce pâle
lilas qui luit : une flamme laissée
là à brûler cependant qu'est venu le jour ;
et la senteur qu'elles ont répandue dans toute la maison.
Comme cet amour entre nous,
qui après tout n'est rien là
qu'une pâleur, mais une pâleur lumineuse,
ardente, et un parfum, une espérance
qui me remplit le cœur quand je l'éprouve :
une maison à nous,
mettre la nappe ensemble,
toi et moi, sur la table,
avec quelqu'un qui se dresse
sur la pointe des pieds
et tente d'arriver avec les yeux
à hauteur de ce que nous préparons.
Traduction : Laurent Feneyrou
Images : en haut, Furlane Robin (Site Flickr)
en bas, Source
Étonnant poème qui évoque le passé de ce qui n'a pas été et qui sera... Parfois le passé est comme une neige immaculée, une prémonition. Le futur sera façonné par cette attente. Le présent sera alors vertigineusement écartelé entre un songe et une réalité. Seule parfois la poésie peut enfanter ce trouble et inverser le temps. Je te vivrai comme une aspiration de mon passé....
RépondreSupprimerLa fraîcheur d'eau et de sous-bois des jacinthes sauvages couvre ces mots d'un parfum épuisant pour les sens, envoûtant. Fragile et puissant.
La lumière évoquée émane de ce parfum.
C'est Baudelaire, dans "Les fleurs du mal"
"Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent..."
"Le passé de ce qui n'a pas été et qui sera" : oui, c'est exactement cela, la nostalgie de ce que l'on n'a pas encore vécu...
SupprimerUne pâleur lumineuse...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup l'aquarelle qui lui correspond parfaitement !
Oui, c'est l'un des heureux hasards de la Toile : la rencontre miraculeuse entre une image et un poème qui semblent faits l'un pour l'autre... Merci de votre visite !
SupprimerGrazie per questo gioiellino. Delicatissime tinte pastello un po' sbiadite. Intenso il sentimento come il profumo dei giacinti
RépondreSupprimerGrazie a Lei per il Suo gentile commento !
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