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lundi 9 mars 2015

Solstizio metafisico (Solstice métaphysique)



"Alle domande : di che tratta questa poesia ? che significa ? a che si riferisce ? per che scopo è stata scritta ? – bisogna poter rispondere : di niente, niente, a niente, per niente."

Arturo Onofri Tendenze 

 "Aux questions : de quoi cette poésie parle-t-elle ? que signifie-t-elle ? à quoi fait-elle allusion ? pourquoi a-t-elle été écrite ? – il faut pouvoir répondre : de rien, rien, à rien, pour rien." 

Arturo Onofri Tendances






Giovanni Comisso a écrit Solstizio metafisico entre 1919 et 1921 (il a alors vingt-cinq ans), à Fiume, où il participait à la fameuse expédition conduite par Gabriele D'Annunzio. Il s'agit d'un ensemble de textes courts, aphorismes, poèmes en prose d'inégales longueurs (en tout une centaine de fragments), inspirés par le D'Annunzio de Notturno, mais aussi par le Rimbaud des Illuminations ou le Nietzsche de Zarathoustra. L’œuvre est restée longtemps inédite, et l'édition complète de ces textes de jeunesse de Comisso n'est parue qu'en 1999 en Italie, grâce au travail attentif et méticuleux d'Annalisa Colusso (Edizioni Il Poligrafo, Padova). Je cite ici – dans une traduction personnelle – trois de ces fragments, tout à fait caractéristiques de l'inspiration de Comisso, impressionniste et parfois presque panthéiste :  


XXXII

Il bosco si riempì di cacciatori. Dalle alte cime degli alberi si staccarono degli uccelli neri per andar a volare lungo al fiume. In fondo al piccolo sentiero appena segnato, apparve una coppia d’amanti disturbati dai cani. Sovra al fiume vi erano due lunghi ponti moderni. E dietro dall’altra sponda, in basso, spuntava la città fatta di vecchi palazzi e vecchie chiese. L’acqua del fiume andava così in fretta come se il mare avesse bisogno delle sue acque. Una barca carica di uomini ignudi venne innanzi silenziosa spinta dalla corrente. «Saranno galeotti» pensai, tanto erano magri e sporchi. Come mi videro cominciarono a ciarlare.

Poi qualcuno mi gridò dietro e qualche altro fischiò. Presto la barca passò oltre. Poi un istinto tacito mi indusse a levarmi le scarpe, e le calze. Immersi allora i miei pallidi piedi nell’acqua chiara e mi apparvero fatti quasi gonfi. Stavo così, quieto a nulla pensando quando una folla di pescetti bambinelli e burloni spuntò dal fondo per avventarsi contro, tentando di sbocconcellarli come fossero stati della mollica di pane. I miei piedi giganti risero contenti del mondo creato.


XXXII

 Le bois se remplit de chasseurs. Des hautes cimes des arbres se détachèrent des oiseaux noirs qui s’envolèrent vers le fleuve. Au fond d’un petit sentier à peine tracé apparut un couple d’amoureux dérangés par des chiens. Au-dessus du fleuve se trouvaient deux ponts modernes. Et derrière l’autre rive, en contrebas, se dressait la ville avec ses vieux palais et ses vieilles églises. L’eau du fleuve s’écoulait avec rapidité, comme si la mer avait besoin de ses eaux. Une barque chargée d’hommes nus s’approcha, silencieusement portée par le courant. «Ce doit être des prisonniers» pensai-je, tant ils étaient maigres et sales. Quand ils me virent, ils commencèrent à discuter. 

L’un d’eux me héla et un autre se mit à siffler. La barque s’éloigna rapidement. D’un geste instinctif, j’ôtai mes chaussures et mes chaussettes, puis je plongeai mes pieds pâles dans l’eau claire où j’eus l’impression qu’ils avaient enflé. Je demeurais ainsi, tranquille, sans penser à rien, quand une foule de petits poissons farceurs surgit du fond et se rua sur mes pieds, en essayant de les grignoter comme s’il s’agissait de miettes de pain. Mes pieds gigantesques se mirent à rire, en se réjouissant du monde créé. 






 XXXVIII

Vi è un monte che si chiama Endimione ed à su verso le tonde cime dei prati fioriti di narcisi. Vi è un torrente, che durante la guerra un poeta chiamò : «collana della patria». Vi sono verso Nord delle scene irte di monti che esaltano a pensieri universali. 

Vi è il cielo dove le grande nubi dividono la luce del sole e vi sono i colli dove l’eterno pastore all’ombra della quercia guarda il suo bestiame tranquillo. Vi è il mio corpo, disteso che odora come il corpo d’un altro su queste sabbie dove i soldati venivano a morire combattendo come in un circo.


XXXVIII

Il y a un mont qui s’appelle Endymion où l'on trouve, en montant vers ses cimes arrondies, des prairies fleuries de narcisses. Il y a un torrent, qu'un poète pendant la guerre nomma  «le collier de la patrie». Il y a en direction du Nord des étendues montueuses évocatrices de pensées universelles. 

Il y a le ciel où les grandes nuées se partagent la lumière du soleil, et il y a les collines où l’éternel berger garde tranquillement son troupeau à l’ombre d’un chêne. Il y a mon corps étendu qui a la même odeur que le corps d’un autre sur ces sables où les soldats venaient mourir en  combattant comme dans un cirque.  






LVI

Sulle rive del mare illuminato dalla luce mattutina vi era un enorme silenzio. Sembrava che le tenebre fossero state separate dalla luce allora, e che il mondo con la sua terra ed il suo mare fosse sorto da poco. Improvvisamente m’accorsi che dietro ad un alto roccione che scendeva sul mare, spuntava una cosa che per un attimo mi spaventò come fosse stato un mostro. Era invece un veliero che cabotava l’isola. E subito sentii le voci dei marinai a bordo, giungermi chiare come fossero vicini.

LVI

Sur les rivages de la mer illuminée par la lumière du matin régnait un énorme silence. On avait l’impression que les ténèbres venaient d’être séparées de la lumière, et que le monde, avec sa terre et sa mer, venait à peine de naître. Soudain, je m’aperçus que derrière un gros rocher à pic sur la mer surgissait une chose qui sur le moment m’effraya comme s’il s’agissait d’un monstre. C'était en fait un voilier qui longeait l’île. Et j’entendis aussitôt les voix des marins à bord, je les percevais si nettement qu’on aurait dit qu’ils étaient tout près.






Je cite pour terminer un fragment qui m'évoque irrésistiblement un poème de la section Calamus des Feuilles d'herbe. Comisso ne cite jamais Walt Whitman, et l'on ne peut évidemment pas être sûr qu'il l'ait lu, mais il y a souvent une grande proximité entre les deux auteurs, comme on pourra s'en rendre compte en lisant cet extrait de Soltizio metafisico, suivi du poème de Whitman What think you I take my pen in hand ? :


LXXXII

No! costoro non possono essere né fratelli, né parenti, essi sono due amici, amici nel senso ellenico ! Uno è un giovanetto sano dalla chioma nera e folta ondulata e dal corpo ben fatto. L’altro è un collegiale : à dei buoni occhi annebbiati ed una bocca che sembra non voler dare che baci. Son seduti vicino al finestrino del vagone mentre la sera discende sui campi ed una fresca aria li investe nei volti. Si tengono stretti per mano e ogni tanto si guardano negli occhi e sorridono. Una città s’avvicina pare che il ragazzo debba scendere. Difatti si alza e prepara la sua piccola valiggetta. Poi si fanno vicini accanto al finestrino si tengono le mani ancora più strette e mentre il treno rallenta si accostano i volti sino a bacciarsi sulla bocca. Il collo del ragazzo si tese così dolcemente in attesa e le labbra si socchiusero così siccome fosse un figlio baciante la madre od una tenera giovinetta il suo uomo.

 
 LXXXII

Non ! Ces deux-là ne peuvent être ni des frères, ni des parents, ce sont deux amis, amis au sens hellénique du terme ! L’un deux est un solide jeune homme aux cheveux noirs et frisés et au corps bien fait. L’autre est un collégien : il a de bons yeux rêveurs et une bouche qui semble ne vouloir donner que des baisers. Ils sont assis à côté de la fenêtre du wagon tandis que le soir descend sur les champs et qu’un air frais fouette leurs visages. Ils se tiennent par la main et parfois leurs regards se croisent et ils sourient. On approche d’une ville et il semble que le plus jeune doive descendre. Justement, il se lève et s’empare de sa petite valise. Puis ils s’approchent de la vitre, serrent plus fort leurs mains et pendant que le train ralentit ils approchent leurs visages pour s’embrasser sur la bouche. Le plus jeune tendit doucement son cou dans cette attente, et il entrouvrit les lèvres comme s'il s'agissait d'un fils embrassant sa mère, ou une tendre jeune fille son amant.


What think you I take my pen in hand to record ?
The battle-ship, perfect-model'd, majestic, that I saw pass
the offing to-day under full sail ?
The splendors of the past day ? or tehe splendor of the night
that envelops me ?
Or the vaunted glory and growth of the great city spread around me ? – no ;
But merely of two simple men I saw to-day on the pier in the midst of the crowd, parting the parting of dear friends,
The one to remain hung on the other's neck and
passionately kiss'd him,
While the one to depart tightly prest the one to remain
in his arms.
 
Walt Whitman Leaves of grass, Calamus, 1860

Pourquoi croyez-vous que je prends la plume ?
Pour décrire le navire de guerre aux formes parfaites, majestueuses,
que j'ai vu passer au large aujourd'hui, toutes voiles dehors ?
La splendeur du jour écoulé ? ou la splendeur de la nuit qui m'enveloppe ?
Ou la gloire et l'essor vantés de la grande ville qui m'entoure ?
– non ;
mais simplement deux hommes ordinaires que j'ai vus aujourd'hui
sur la jetée au milieu de la foule échanger l'adieu des tendres amis,
Celui qui restait se pendait au cou de l'autre et l'embrassait passionnément,
Tandis que celui qui partait serrait étroitement dans ses bras celui qui restait.

Traduction : Roger Asselineau (Editions Aubier)

Per annotare che cosa pensi che io prenda in mano la penna ?
Non la nave da guerra, dalle forme perfette, maestosa, 
che ho visto oggi passare al largo, a vele spiegate,
Né gli splendori del giorno trascorso, né gli splendori della
notte che mi avvolge, non la gloria, non la crescita della
grande città, che intorno a me si dispiega,
Ma i due uomini che ho visto oggi sul molo separarsi come si 
separono i cari amici,
Quello che restava, appeso al collo dell'altro appassionatamente
lo baciava, mentre l'altro che partiva serrava stretto l'amico
che restava tra le braccia.

Traduzione : Marina Tornaghi


Solstizio metafisico, de Giovanni Comisso, est paru en 1999 aux éditions Il Poligrafo, Padova. (Traduction personnelle)



Images : (1) Site Flickr

(2) Patrick Castelli (Site Flickr)


(4) Ivana (Site Flickr)


5 commentaires:

  1. A quel moment ces textes ont-ils été écrits ? plus tard quand le souvenir posait une énigme entre ce qui avait été vécu et ce dont il se souvenait. Comme s'il avait besoin d'expliquer, de vérifier, de donner un contour plus ferme à ce qui aurait pu glisser vers l'oubli. Écrire pour valider pour répondre à une obligation intérieure par le travail des mots, des pensées.
    Et puis tout ce qui n'a pas été écrit comme un trou dans ce qui est raconté là, fixé. Ce rien de la vie, cette écume des choses et du temps qu'il a voulu fixé contre l'oubli. A qui ces lignes étaient-elles dédiées ?
    Toutes ces mains qui tiennent ou ont tenu- une plume ou tapotent sur un clavier, c'est étourdissant. Une sorte de combat vain contre la mort qui gagnera, arasant peu à peu les mémoires. Tablettes, livres, écrans.
    Et là-bas des fous détruisant des statues millénaires.
    Dans les camps d'extermination des déportés se récitaient des livres aimés...
    De G. Comisso on lit "Aventurier et écrivain". Bien courte biographie qui ne répond pas à bien des égards à cette vie d'homme. A ces sensations longuement éprouvées, offertes ici en discontinu. Où se situe la convergence de ses regards, de ses sensations ? Associer librement ces lumières, ces tendresses. Ce présent-passé devient une invention d'inconnu parce que lui l'a écrit de cette façon, que nul autre ne l'aurait écrit avec ces mots. (Encore que le poème de W. Whitmann est troublant.)
    Des images viennent quand on lit ces textes, plus nettes que celles mises en lien. Une respiration.
    "Je demeurais ainsi, tranquille, sans penser à rien..."

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    1. Ce sont des textes de jeunesse de Comisso, écrits, comme je l'indique dans ma petite présentation en haut du message, sous l'influence de D'Annunzio, de Nietzsche et sans doute aussi du Rimbaud des "Illuminations".

      Malheureusement, Comisso a été très peu traduit en français : je recommande particulièrement les deux très beaux livres que Patrick Mauriès a publiés il y a quelques années dans sa précieuse collection "Le Promeneur" (Gallimard) : "Jeux d'enfance" et "Au vent de l'Adriatique".

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    2. J'ai aimé découvrir ces textes de Comisso. La question qui est posée par Arturo Onofri m'a troublée : "Aux questions : de quoi cette poésie parle-t-elle ? que signifie-t-elle ? à quoi fait-elle allusion ? pourquoi a-t-elle été écrite ? – il faut pouvoir répondre : de rien, rien, à rien, pour rien." . Il y a chez les hommes d'écriture une transformation progressive de la vie en paroles. Des paroles qui deviennent tout et leur lien avec les autres. C'est impressionnant. Ça fait un peu peur. Et en même temps c'est une merveille.
      De cette même scène - évoquée par Comisso et Whitman - je fais un bond vers Hölderlin (Der Abschied) :
      "Et la jeunesse dans nos yeux une fois encore/ Monte et rayonne.".
      (C'est P. Jaccottet qui le cite dans "Observations II). J'aime la résistance de P.J à l'écriture. Je m'enfouis souvent dans la sienne pour écouter.
      Je vais essayer de trouver "Jeux d'enfance" ou "Au vent de l'Adriatique".


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  2. On se figure atteindre les choses avec les mots
    Et on attrape que les mots
    Les choses restent là
    Tranquilles en ce qu’elles sont
    Hors des mots
    Hors des choses.

    *
    Les objets sont les choses
    Désignées par les mots
    Ce ne sont plus des choses
    Plutôt des engins
    Parfois utiles, d’autres fois non.

    Les choses gisent lointaines
    Au-delà même d’elles-mêmes,
    Et toute à leur distance inhospitalière
    Elles se fécondent dans l’hostilité.

    Seuls, l’ingénuité discrète du verbe
    Ou la pieuse idiotie du mot
    En leur sommeil
    Les éveillent.

    Brève victoire cependant :
    Elles se raidissent
    Dans leur intolérante chasteté
    Se refusent et stagnent aussitôt

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    1. Dans "Jeux d'enfance", Giovanni Comisso a souhaité que certains passages soient imprimés en italique. là, il entre en lui, en sa mémoire. Je l'imagine, les yeux baissés, l'air absent comme dans certains autoportraits de Bonnard que j'ai longuement contemplés à Orsay, mercredi. Un de ces portraits crépusculaire montre son visage à contre-jour, presque une ombre, très proche des visages sculptés par Giacometti. Les mots gitent là quelque part juste avant le silence. Je reviens à un de ces passages-mémoire de Comisso. Une rencontre. "Il avait rencontré Pietro, assis sur la berge, seul, et son visage, lorsqu'il le regarda, désirant lui parler, révélait une tristesse aussi profonde que la sienne.". Dans les dernières pages, cette phrase : " Le jour viendra où l'on me fera descendre l'escalier de ma maison, enfermé dans un cercueil, mais moi je serai allé jusqu'au bout de mes jeux d'enfance."
      Entre ces pages des mots. Un sacré travail d'élucidation et un presque silence pour l'essentiel.
      La peinture c'est aussi cela : frôler la parole et rester dans l'avant des mots. Les laisser naître, se battre, se perdre ou ne pas être.
      Il est très profond ce poème, Cléanthe. Comme un regard ou un étang fermé.
      J'essaie de progresser dans le dernier livre écrit par Jean Rouaud "Etre un écrivain" (c'est le 4e opus de "La vie poétique". La mère avant de mourir prononce ces paroles : "On ne dit rien, Georges, on sait." et J.Rouaud, méditant sur ces paroles ultimes, écrit : " "Il y a toujours des mots, ils sont là, ils ont ce pouvoir de jeter un filet de miséricorde sur le monde, le métamorphosant à vue."

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