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mercredi 5 octobre 2011

Vicino al sole (Près du soleil)



«Le ton général du film est très désespéré. 

– Comme tous mes films. Il s'agit d'un désespoir fondamental que par malheur j'ai sur moi. Naturellement, je crois que je le masque très bien tant que je ne le laisse pas libre de s'exprimer. Au fond, toute la vie consiste à masquer ce fond de désespoir. Je ne crois pas que ce soit quelque chose de subjectif ou d'individuel, c'est un désespoir qui est dans toutes les personnes. Disons que pour moi il y a uniquement le fait que je l'ai un peu plus "focalisé", mais pour le reste le désespoir est commun à tout le monde.» 

Valerio Zurlini, entretien avec Jean Gili, à propos de La Ragazza con la valigia




Il y a des films où, de façon mystérieuse, la fiction se double d'une dimension documentaire focalisée sur le corps (et l'âme...) de l'actrice principale : Ingrid Bergman dans Stromboli, Danielle Darrieux dans Madame de..., Monica Vitti dans L'Avventura ou dans L'Eclipse, Anna Karina dans Vivre sa vie, Brigitte Bardot dans Le Mépris, Gena Rowlands dans Une Femme sous influence. C'est aussi le cas de La Fille à la valise, de Valerio Zurlini, que l'on peut également considérer comme un magnifique reportage sur Claudia Cardinale à vingt ans : son sourire, son allure, sa démarche, la façon dont elle s'allonge sur le sable d'une plage de Rimini, ses éclats de rire ou ses coups de cafard, sa manière de fixer la caméra ou de s'en détourner brusquement, comme dans les dernières images du film. Bien sûr, c'est le personnage d'Aïda qui est là sur l'écran, mais aussi, dans une sorte d'identification troublante, la jeune actrice qui l'incarne. Zurlini joue de cette ambiguïté fascinante, par exemple dans la scène du restaurant, à la gare de Parme, où Aïda, face à Lorenzo (Jacques Perrin), parle de l'enfant qu'elle a eu très jeune, et dont elle souffre d'être séparée, situation identique à celle que vivait au même moment Claudia Cardinale... Ce n'est sans doute pas pour rien que, dans son livre de souvenirs, l'actrice parle de La Fille à la valise comme du "film de sa vie" :

« Il est difficile de trouver un metteur en scène qui vous comprenne, qui parvienne à saisir votre intériorité. Pietro Germi est un de ceux-là, mais aussi Valerio Zurlini. Zurlini m'avait choisie, contre l'avis de tout le monde, pour La Fille à la valise. Le rôle était difficile et je n'étais pas encore considérée comme une actrice à part entière. Il s'entêta, car il était sûr de moi, il disait que je n'avais pas besoin de jouer car j'étais véritablement Aïda, son personnage. Et puis, durant le tournage, il s'est placé à mes côtés et m'a tout expliqué : l'histoire de cette pauvre malheureuse, une petite putain dont un garçon de bonne famille s'amourache – dans le film, Jacques Perrin. Elle tombe amoureuse de lui, mais celui-ci la traite comme une prostituée, alors qu'elle croyait avoir effacé ses antécédents grâce à cet amour. Une histoire déchirante. 

Grâce à Valerio Zurlini, je m'identifiai à mon personnage, à tel point que je ne savais plus qui j'étais, à la fin du film : je suis restée enfermée dans ma chambre une semaine durant, parce que je ressentais le même malaise qu'Aïda. Zurlini aimait beaucoup les femmes, et sa sensibilité était presque féminine. Il me comprenait d'un seul regard. Il m'a tout appris sans rien m'imposer. Il éprouvait une grande affection pour moi. Quand j'ai terminé le film, il m'a offert son plus beau tableau : une Madone du quatorzième siècle, qui ne m'a plus quittée et me suit partout.

Je l'ai revu avant qu'il ne meure. Il était très malade, et vivait seul à Rome, dans le quartier de Sainte Marie Majeure. Il m'a téléphoné, un matin : je crois qu'il se sentait proche de la fin. Son affection était telle qu'il éprouvait le besoin de me saluer une dernière fois. Je me souviens que j'arrivai dans sa maison, en face de cette merveilleuse basilique qu'est Sainte Marie Majeure : il était au lit, et ne pouvait plus bouger. Il souffrait d'une cirrhose. Germi affirmait, quant à lui, qu'il avait en réalité tenté de se suicider, ne pouvant supporter le départ de Jacqueline Sassard. Je me souviens que ce fut une tragédie pour lui. Valerio Zurlini était couché ; et tout autour, sa maison était entièrement vide : lui, qui avait tant tenu à ses tableaux pendant toute sa vie, et qui les avait choisis en grand connaisseur, avait tout vendu. Il ne restait plus qu'un lit et une caisse.

Je me souviens qu'il demanda à un garçon d'aller chercher des pâtes dans un restaurant, au-dessous de chez lui. Il se leva et nous mangeâmes par terre, assis l'un en face de l'autre, devant la caisse. Ou plutôt, il ne mangeait pas, mais me regardait. Je crois que nous repensions tous les deux à l'époque où nous nous étions connus. À cette scène de La Fille à la valise que j'avais eu tant de mal à jouer, assise sur les marches d'une gare, à côté de Gian-Maria Volonté, mangeant une assiette de fettuccine et lui racontant l'histoire de ma vie. Tout en mangeant, je parlais, riais et pleurais... Pour me faire entrer dans la peau du personnage, Zurlini m'avait fait ingurgiter des fettuccine pendant toute la durée du tournage.

Comme à cette époque-là, comme dans cette scène, j'avais envie de pleurer. Je n'ai pas pu, et je n'ai pas voulu le faire : je me suis forcée à lui sourire, à bavarder avec lui comme au bon vieux temps, comme si rien n'avait changé. Par respect pour la dignité extrême avec laquelle il avait toujours vécu, et avec laquelle il méritait de mourir. Non, à vrai dire, il ne méritait pas du tout de mourir aussi tôt, aussi désespéré et aussi seul... »

Extrait de Moi, Claudia, toi, Claudia, le roman d'une vie, de Claudia Cardinale (Editions Grasset, 1995. Traduction : Nathalie Bauer)












Merci à Richard pour les trois captures d'écran (Blog

3 commentaires:

  1. Comme on se voit
    comme les autres nous voient
    comme on est et que personne ne connaît, pas même nous...
    Comme on se voit en l'autre comme on aime ce que l'autre voit en nous ou l'inverse
    comme on s'y perd
    Comme on voit l'autre
    comme il se voit
    comme il est, peut-être
    Comme on est seuls...
    Parfois un crayon, un pinceau, un oeil derrière une caméra touche la vérité cachée au fond des êtres...

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  2. "La vérité cachée au fond des êtres" : oui, et je remarque que dans la presque totalité des exemples que je cite au début de mon message, les metteurs en scène étaient aussi très amoureux de leur actrice au moment où ils la filmaient : ce n'est sans doute pas un hasard...

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  3. Cela se voit dans ces photos (films) splendides...

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