Translate

samedi 8 octobre 2011

Les Solécistes zélés




Plutôt qu'une indifférence cavalière, c'est souvent un excès de zèle qui fait verser la phrase, la phrase de journaliste en particulier, dans l'ornière du solécisme. Face à tous les abrupts et proliférants c'que j'ai peur et c'que j'ai envie du langage «relâché» fleurissent des constructions nettement plus recherchées, méticuleuses même, mais non moins bancales : ce n'est pas qu'il leur manque une jambe, ce serait plutôt qu'elles en ont une de trop : «Ce dont il a peur c'est de la recrudescence de..., etc.», «c'est de son retour éventuel dont je m'inquiète..., etc.», «ce dont je voudrais vous parler, c'est de la renaissance de..., etc.». La nécessité du dont est bien perçue, mais nullement son sens, ni sa fonction. La contrainte qui l'impose est bien respectée, mais de façon toute extérieure et mécanique, sans être comprise, ni dans ses raisons ni dans ses effets. Après dont, c'est qui sert le plus souvent de théâtre, ou de prétexte, à cette curieuse surcharge syntaxique : «C'est là où fut retrouvé le corps de Charles le Téméraire.» On dirait le monde peuplé de disciples grammaticaux de Françoise Hardy, tout impatients de proclamer comme elle : C'est à l'amour auquel je pense...

Renaud Camus  Esthétique de la solitude Editions P.O.L, 1990




On remarquera que l'auteur de la version italienne de la chanson a évité la redondance dans le titre : E' all'amore che penso, C'est à l'amour que je pense, et qu'il s'en tire fort habilement dans le refrain pour récupérer le nombre de syllabes nécessaires à la mélodie : E' all'amore che fai pensare (C'est à l'amour que tu fais penser), puis, à la fin de la chanson : E' all'amore che penserò (C'est à l'amour que je penserai). (Dans la vidéo ci-dessous, la chanson est à 2' 40'', juste après L'età dell'amore)




Image (en haut) : Renaud Camus (Site Flickr)

1 commentaire:

  1. "...c'est souvent un excès de zèle qui fait verser la phrase, la phrase de journaliste en particulier, dans l'ornière du solécisme..."

    Comme pour un dessin, la perte de la spontanéité dans la surcharge explicative.
    Idée vraiment intéressante, texte décapant. J'aime.

    RépondreSupprimer