Il sortait vers dix heures du matin, suivi de Bruno qui portait le chevalet, la toile, la boîte de couleurs et les pinceaux. Il s'arrêtait à l'improviste, pour une raison qui n'avait parfois rien à voir avec la beauté du lieu à peindre, presque toujours parce que, dans une boutique voisine, il avait aperçu un beau garçon qui manifestait une certaine curiosité ; il plantait là son chevalet et, fixant son regard comme un chasseur qui guette sa proie, il commençait par tracer sommairement en noir les limites du paysage. Ensuite, il prêtait une attention extrême aux couleurs du paysage et au choix de celles qu'il disposait sur sa palette. Pendant ce temps-là, autour de lui, se réunissaient les enfants, puis les jeunes gens du quartier ; il percevait la chaleur de ces observateurs étonnés, il écoutait leurs commentaires, s'ils osaient en faire, parfois même il s'adressait à l'un deux pour lui demander si le tableau lui semblait réussi. Rien n'échappait à son regard : un linge rouge sur un étendage, une fleur à une fenêtre, un morceau de papier bleu jeté par terre ; à la fin, il égalisait par de larges touches la composition du dallage et la splendeur du ciel d'été.
Il reculait de quelques pas, observait en fronçant les yeux, se retournait brusquement vers l'assistance, comme pour capter dans les regards leur impression sur l’œuvre, ou simplement pour voir s'il connaissait quelqu'un ; il ajoutait ensuite quelques coups de pinceau, puis apposait aussitôt sa signature, en la faisant précéder du sigle S.B. (San Barnaba). C'est moi qui lui avait suggéré d'indiquer sur chacun de ses tableaux, en plus de la date, l'adresse de l'atelier où il avait été réalisé. Il avait commencé à Milan avec le sigle V.R. (via Rogabella) ; je lui avais dit qu'en relation avec chaque atelier, se créait simultanément une nouvelle période de sa carrière. Quand il occupait un nouvel atelier, ou lorsqu'il s'installait dans un nouveau pays, on avait l'impression que son immense volonté de s'imposer le conduisait à adopter une nouvelle manière.
Quand il avait achevé son tableau, il ne se livrait pas comme les autres peintres à un nettoyage minutieux de ses pinceaux, il les entassait tous pêle-mêle dans la boîte de couleurs et presque toujours se présentait l'un des nombreux admirateurs de sa peinture qui lui achetait sur le champ l’œuvre à peine terminée.
Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis Ed. Neri Pozza, 2010 (Traduction personnelle)
Images : de haut en bas, Filippo De Pisis Venezia, Palazzo Ducale, 1947
Venezia, Chiesa delle Salute, 1947
Venezia, 1946
bien
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