"...dans l'instant où la corde se brise..."
Seigneur, venez à mon secours,
Tendez-moi votre main si grande
Qu'elle est le dôme des amours,
Des océans, des monts, des landes,
De l'éternel et de nos jours.
Tendez-moi, Seigneur, ne serait-ce
Qu'un de vos doigts pour m'y poser,
Emmenez-moi me reposer
Loin de tout ce qui me délaisse
Et loin de ce que j'ai osé.
Écartez-moi de la rivière,
Conduisez-moi sur le chemin
Qui mène au cœur de la prière,
Tendez-moi votre grande main
D'où sort la nuit et la lumière.
Tout m'est trop proche et trop lointain,
Mon cœur est mort, mon âme pleure,
Le temps ne m'apporte plus d'heure,
Mes battements se sont éteints
Sous un pas quittant ma demeure.
J'ai rendu le dernier soupir.
Seigneur, écoutez la prière
De celle qui voudrait dormir.
Baissez mes rouges paupières
Car j'ai grand sommeil de mourir.
Louise de Vilmorin L'Alphabet des Aveux, Gallimard, 1954
Émouvante (fausse) simplicité.
RépondreSupprimerÉtrange impression comme de demander au vent d'entraîner le voilier vers la haute mer car rien sur le rivage ne retient le désir de vivre du batelier. Comme si la vie était devenue plus difficile que la mort. Mais la mort est ici anéantissement dans un sommeil irréversible échangeant la mémoire contre l'oubli. Comment l'appel à l'amour peut-il devenir celui de l'anéantissement ? Si ce n'est que les ombres du cœur ont effacé toute lumière et qu'il ne reste que cet ultime abandon à la miséricorde.
RépondreSupprimerImages admirables...
Merci de ce commentaire, Christiane ! Je pense aussi en lisant ce poème à une autre Louise (Labé), si proche aussi de ce sentiment que vous évoquez, "dans l'instant où la corde se brise" (c'est une citation d'André Malraux) :
Supprimer"Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toi regretter :
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes grâces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Prirey la Mort noircir mon plus cler jour."
(Sonnet XIV)
Quelle beauté...
SupprimerEt quelle proximité dans le chant, par-delà les siècles, entre ces deux (grandes) dames françaises...
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