"O terrazze ! Terrazze da cui lo spazio ha preso slancio. O navigazione aerea !"
Rome, villa
Médicis, San Vittorio, lundi 26 janvier, 10 heures et demie du soir. Et le
dimanche dans les jardins Boboli sans fleurs. Mais cette citation sous ma plume
est toujours fausse. Ce doit être plutôt : Et le dimanche aux Cascine. J’amalgame
deux phrases, deux versets des Nourritures. Ce fut dimanche à Boboli, en tout
cas, et bien sûr jusqu’au Belvédère. Longtemps, j’ai fait de Florence un
mauvais usage. Je parcourais ses rues sombres, m’attristais de ses cours étroites, déplorais son architecture austère, rugueuse à l’âme. Or elle est au
contraire la lumière, l’air, l’espace. Il en va d’elle comme de beaucoup de
gens, il suffit pour l’aimer d’en sortir un peu. Ce sont les collines qui
rendent Florence précieuse entre toutes les villes : qu’elle soit ce qu’elle
est, certes, mais qu’on puisse après trois pas y rêver par-dessus les toits,
quand elle s’offre au regard dans la paume de la main, depuis les terrasses,
les collines, les chemins de la haute ville.
Le dimanche, tout beau dimanche d’hiver
qu’il soit, n’est pas le meilleur jour, bien sûr, pour dépasser Pitti et monter
vers le ciel, du côté de San Miniato. Mais j’étais de si bonne humeur que la
foule même, pourtant familiale et hinarce au possible, trouvait grâce à mes
yeux. J’avais tiré trois coups la nuit d’avant, plutôt gentils chacun. Je
pouvais me passer pour un moment d’autres engouements de la chair. D’ailleurs,
à peine redescendu parmi les bugnes, les tourelles d’angle et les fenêtres géminées, j’ai rencontré vers
la place de la République un aimable Sicilien qui avait tenu la veille, dans
une scène d’orgie douce au Crisco, un rôle non négligeable. Nous avons marché
côte à côte, parlant d’Agrigente et de Strasbourg, de part et d’autre de l’Arno.
Il ne voulait pas me croire : mais jamais Rome n’offrirait rien de pareil,
ces faciles accords, cette camaraderie sans empois, ces sourires qui volettent
dans la foule, cette reconnaissance de la peau, ces légères accordailles des regards.
Tout cela, dit-il, est illusoire. Sans doute. Mais l’illusion suffit au
voyageur, quand elle dure autant que lui. Je ne fais que passer. Et mon passage
m’enchante. Il y a aussi que mettant le pied en Italie, après les horribles
frimas de la France, le gel, le verglas, la boue glacée, nous avons trouvé le
printemps. Pas un nuage dans le ciel de Gênes. À Florence, aux terrasses des
cafés, on se disputait les tables. Dans les moments où la vie est agréable et
facile, où chaque épisode s’enchaîne harmonieusement et vite, élégamment, sans
à-coups, sans peine, sans résistance de la matière ni renâclement de l’intendance,
je crois toujours être un motif qui court, dans un concerto de Vivaldi.
Images : en haut, Site Flickr
au centre, Site Flickr
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