Un covo di vipere [Un nid de vipères], la nouvelle enquête du commissaire Montalbano qui vient de paraître en Italie, commence par une vertigineuse mise en abyme : les personnages se retrouvent dans un rêve à l'intérieur d'un tableau qui représente lui même un rêve (et le jeu de miroirs se complique encore puisque la chanson qui est évoquée (Il Cielo in una stanza, de Gino Paoli) est elle aussi le récit d'un rêve !). On retrouve ici le grand art de l'incipit qui caractérise les romans d'Andrea Camilleri, et cet italien sicilianisé (à moins que ce ne soit l'inverse), toujours aussi dru et fascinant (et toujours aussi difficile à traduire...) :
Che la ’ntricata foresta dintra alla quali lui e Livia si erano vinuti ad attrovari, senza sapiri né pircome né pirchì, fosse virgini non c’era nisciun dubbio pirchì ’na decina di metri narrè avivano viduto un cartello di ligno ’nchiovato al tronco di un àrbolo supra il quali ci stava scrivuto con littre marchiate a foco : foresta vergine. Parivano Adamo ed Eva in quanto erano tutti e dù completamenti nudi e si cummigliavano le cosiddette vrigogne, le quali, a pinsarici bono, non avivano nenti di vrigognoso, con le classiche foglie di fico che si erano accattate da ’na bancarella all’entrata a un euro l’una ed erano fatte di plastica. Siccome erano rigide, davano tanticchia di fastiddio. Ma quello che cchiù fastiddiava era il caminare a pedi nudi.
A mano a mano che Montalbano procidiva, sempri cchiù si faciva
pirsuaso che in quel posto c’era già stato ’na vota. Ma quanno? La testa
di un lioni ’ntravista ’n mezzo all’àrboli, che non erano àrboli ma
felci gigantesche, gli fornì la spiegazioni.
«Lo sai, Livia, dove ci troviamo ?».
«Lo so, in una foresta vergine. C’era il cartello».
«Ma si tratta di una foresta dipinta !».
«Come dipinta ?».
«Siamo dentro al Sogno di Yadwigha, il celebre quadro di Rousseau il Doganiere !».
«Ma ti sei ammattito?».
«Vedrai se non ho ragione, tra un poco dovremmo imbatterci in Yadwigha».
«E come mai conosci questa donna ?» spiò Livia sospittosa.
E ’nfatti, doppo picca, s’imbattero in Yadwigha che, a vidirli,
sinni ristò supra al divano, stinnicchiata nuda com’era, ma si portò
l’indici al naso facenno ’nzinga di stari ’n silenzio e dissi:
«Sta per cominciare».
Supra a un ramo si posò ’n aceddro, forsi un usignolo. Fatto ’na speci d’inchino all’ospiti, attaccò Il cielo in una stanza.
L’usignolo era cchiù che bravo a cantare, ’na sdillizia, faciva
modulazioni squasi ’mpossibbili macari a Mina, era chiaro che
’mprovisava, ma con una fantasia d’autentico artista.
Po’ ci fu un botto, un secunno, un terzo cchiù forti di tutti e Montalbano s’arrisbigliò.
Santianno, accapì che era scoppiato un grannissimo temporali. Uno di quelli che segnano la morti della stati.
Ma com’è che ’n mezzo a tutta quella battaria continuava a sintiri, e da vigliante, all’aceddro che cantava Il cielo in una stanza ? Non era possibbili.
Si susì, taliò il ralogio, erano le sei e mezza del matino.
S’addiriggì verso la verandina, la friscata proviniva da quella parte. E
non si trattava di ’n aceddro, ma di un omo che sapiva friscare come a
’n aceddro. Raprì la porta-finestra.
Nella verandina, corcato ’n terra, ci stava un cinquantino malo
vistuto, la giacchetta strazzata, la varba longa che pariva Mosè, ’na
massa di capiddri cinirini arruffati. Allato a lui, un sacco. Un
vagabunno, era chiaro.
Appena che vitti a Montalbano, si susì a mezzo e dissi :
«L’ho svegliata ? Mi scusi. Mi sono riparato qua per la pioggia. Se le do fastidio, vado via».
«Ma no, resti pure» fici il commissario.
Era ristato colpito da come parlava quell’omo. A parti il taliàno
pirfetto, era la sò voci educata che gli aviva fatto ’mpressioni.
Gli parse malo chiuirigli la porta-finestra ’n facci, perciò la lassò mezza aperta e si annò a priparare il cafè.
Si era vivuta la prima cicarata, quanno gli venni ’na speci di rimorso. Ne inchì ’n’autra e la portò all’omo.
«Per me ?» spiò quello sbalorduto, susennosi addritta.
«Sì».
«Grazie, grazie !».
Mentri s’arricriava sutta alla doccia, pinsò che forsi quel
povirazzo va a sapiri da quann’era che non si lavava. Quanno ebbi
finuto, tornò nella verandina. Chioviva della bella.
«Se la vuole fare una doccia ?».
L’omo lo taliò ’mparpagliato.
«Dice sul serio ?».
«Sul serio».
«Non sogno altro, sa ? Lei non immagina quanto gliene sarò grato».
Ennò, quell’omo parlava troppo bono per essiri quello che appariva.
Lo sconosciuto si calò a pigliari il sacco e seguì il commissario. Ma se
era uno ‘struito, aducato, come mai si era arriduciuto accussì ?
Andrea Camilleri Un covo di vipere Sellerio Editore, Palermo, 2013
Sur le fait que la forêt touffue dans laquelle Livia et lui s'étaient retrouvés, sans savoir ni comment ni pourquoi, soit vierge, on ne pouvait avoir aucun doute, puisque quelques dizaines de mètres en arrière, ils avaient aperçu un panneau en bois cloué sur le tronc d'un arbre sur lequel on avait gravé avec une pointe de feu : forêt vierge. On aurait pu les prendre pour Adam et Ève car ils étaient tous les deux complètement nus et cachaient leurs parties honteuses, lesquelles, à bien y réfléchir, n'avaient rien de honteux, avec les traditionnelles feuilles de vigne qu'ils avaient achetées un euro l'une à un étal tout près de l'entrée ; elles étaient en matière plastique, et plutôt rigides, ce qui n'était pas vraiment confortable. Mais le plus embêtant, c'est qu'il fallait marcher pieds-nus.
Au fur et à mesure qu'il avançait, Montalbano avait de plus en plus l'impression qu'il s'était déjà trouvé dans cet endroit. Mais quand ? La tête d'un lion entraperçue au milieu des arbres, qui n'étaient pas vraiment des arbres mais plutôt de gigantesques fougères, lui fournit la réponse.
«Livia, tu sais où on se trouve ?»
«Oui, dans une forêt vierge, j'ai vu le panneau.»
«Mais c'est une forêt peinte !»
«Peinte ?»
«Nous sommes dans le Rêve de Yadwigha, le fameux tableau du douanier Rousseau !»
«Mais qu'est-ce que tu racontes ?»
«Tu vas voir que j'ai raison, on ne devrait pas tarder à tomber sur Yadwigha.»
«Et comment se fait-il que tu connaisses cette femme ?» demanda Livia sur un ton suspicieux.
Et en effet, peu de temps après, ils rencontrèrent Yadwigha qui, en les voyant, ne bougea pas de son divan, sur lequel elle était allongée nue ; mais elle porta un doigt à ses lèvres pour leur faire signe de se taire et dit :
«Ça va commencer.»
Un oiseau, peut-être un rossignol, se posa sur une branche. Après leur avoir fait une sorte de révérence, il attaqua Le Ciel dans une chambre.
Le rossignol était un chanteur exceptionnel, c'était un enchantement, il faisait des modulations dont même Mina aurait été incapable. On voyait bien qu'il improvisait, mais avec l'inspiration d'un véritable artiste.
Puis on entendit un coup, un deuxième puis un troisième encore plus fort, et Montalbano se réveilla.
En jurant, il comprit qu'un terrible orage venait d'éclater. L'un de ceux qui marquent la fin de l'été.
Mais comment se faisait-il qu'au milieu de tout ce tintamarre, il continuait à entendre, alors qu'il était bien réveillé, l'oiseau qui sifflait Le Ciel dans une chambre ? C'était impossible !
Il se leva, regarda la montre, il était six heure et demi du matin. Il se dirigea vers la véranda ; c'est de là que venait la musique. Et il ne s'agissait pas d'un oiseau, mais d'un homme capable de siffler comme un oiseau. Il ouvrit la porte-fenêtre.
Dans la véranda, allongé par terre, il y avait un homme d'une cinquantaine d'années, mal habillé, avec une veste déchirée, une longue barbe qui le faisait ressembler à Moïse et une masse de cheveux gris ébouriffés. Un sac se trouvait à côté de lui. Un vagabond, sans aucun doute.
Dès qu'il aperçut Montalbano, il se leva à moitié et dit :
«Je vous ai réveillé ? Excusez-moi. Je me suis mis à l'abri à cause de la pluie. Si ça vous dérange, je m'en vais.»
«Non, non, restez !» dit le commissaire.
Il avait été frappé par la façon dont l'homme s'exprimait. Son italien était parfait, et le ton poli de sa voix l'avait beaucoup impressionné.
Il lui sembla grossier de lui refermer la porte au nez ; il la laissa donc entrouverte et alla préparer du café.
Il en avait déjà bu un bol entier, quand il fut saisi par une sorte de remords. Il en remplit un autre et le porta à l'homme.
Celui-ci se leva et demanda, tout étonné : «C'est pour moi ?»
«Oui»
«Merci, merci !»
Tandis qu'il se trouvait sous la douche, il se dit qu'il devait y avoir bien longtemps que ce malheureux ne s'était pas lavé. Quand il eut fini, il retourna vers la véranda. Il tombait encore des cordes.
«Vous voulez prendre une douche ?»
L'homme le regarda stupéfait.
«Vous parlez sérieusement ?»
«Bien sûr.»
«C'est un rêve pour moi, vous n'imaginez pas à quel point je vous en serai reconnaissant !»
Non, décidément, cet homme s'exprimait trop bien pour être vraiment ce à quoi il ressemblait. L'inconnu se baissa pour prendre son sac et il suivit le commissaire. Mais si c'était quelqu'un d'instruit et de civilisé, comment avait-il pu tomber aussi bas ?
(Traduction personnelle)
Sur le fait que la forêt touffue dans laquelle Livia et lui s'étaient retrouvés, sans savoir ni comment ni pourquoi, soit vierge, on ne pouvait avoir aucun doute, puisque quelques dizaines de mètres en arrière, ils avaient aperçu un panneau en bois cloué sur le tronc d'un arbre sur lequel on avait gravé avec une pointe de feu : forêt vierge. On aurait pu les prendre pour Adam et Ève car ils étaient tous les deux complètement nus et cachaient leurs parties honteuses, lesquelles, à bien y réfléchir, n'avaient rien de honteux, avec les traditionnelles feuilles de vigne qu'ils avaient achetées un euro l'une à un étal tout près de l'entrée ; elles étaient en matière plastique, et plutôt rigides, ce qui n'était pas vraiment confortable. Mais le plus embêtant, c'est qu'il fallait marcher pieds-nus.
Au fur et à mesure qu'il avançait, Montalbano avait de plus en plus l'impression qu'il s'était déjà trouvé dans cet endroit. Mais quand ? La tête d'un lion entraperçue au milieu des arbres, qui n'étaient pas vraiment des arbres mais plutôt de gigantesques fougères, lui fournit la réponse.
«Livia, tu sais où on se trouve ?»
«Oui, dans une forêt vierge, j'ai vu le panneau.»
«Mais c'est une forêt peinte !»
«Peinte ?»
«Nous sommes dans le Rêve de Yadwigha, le fameux tableau du douanier Rousseau !»
«Mais qu'est-ce que tu racontes ?»
«Tu vas voir que j'ai raison, on ne devrait pas tarder à tomber sur Yadwigha.»
«Et comment se fait-il que tu connaisses cette femme ?» demanda Livia sur un ton suspicieux.
Et en effet, peu de temps après, ils rencontrèrent Yadwigha qui, en les voyant, ne bougea pas de son divan, sur lequel elle était allongée nue ; mais elle porta un doigt à ses lèvres pour leur faire signe de se taire et dit :
«Ça va commencer.»
Un oiseau, peut-être un rossignol, se posa sur une branche. Après leur avoir fait une sorte de révérence, il attaqua Le Ciel dans une chambre.
Le rossignol était un chanteur exceptionnel, c'était un enchantement, il faisait des modulations dont même Mina aurait été incapable. On voyait bien qu'il improvisait, mais avec l'inspiration d'un véritable artiste.
Puis on entendit un coup, un deuxième puis un troisième encore plus fort, et Montalbano se réveilla.
En jurant, il comprit qu'un terrible orage venait d'éclater. L'un de ceux qui marquent la fin de l'été.
Mais comment se faisait-il qu'au milieu de tout ce tintamarre, il continuait à entendre, alors qu'il était bien réveillé, l'oiseau qui sifflait Le Ciel dans une chambre ? C'était impossible !
Il se leva, regarda la montre, il était six heure et demi du matin. Il se dirigea vers la véranda ; c'est de là que venait la musique. Et il ne s'agissait pas d'un oiseau, mais d'un homme capable de siffler comme un oiseau. Il ouvrit la porte-fenêtre.
Dans la véranda, allongé par terre, il y avait un homme d'une cinquantaine d'années, mal habillé, avec une veste déchirée, une longue barbe qui le faisait ressembler à Moïse et une masse de cheveux gris ébouriffés. Un sac se trouvait à côté de lui. Un vagabond, sans aucun doute.
Dès qu'il aperçut Montalbano, il se leva à moitié et dit :
«Je vous ai réveillé ? Excusez-moi. Je me suis mis à l'abri à cause de la pluie. Si ça vous dérange, je m'en vais.»
«Non, non, restez !» dit le commissaire.
Il avait été frappé par la façon dont l'homme s'exprimait. Son italien était parfait, et le ton poli de sa voix l'avait beaucoup impressionné.
Il lui sembla grossier de lui refermer la porte au nez ; il la laissa donc entrouverte et alla préparer du café.
Il en avait déjà bu un bol entier, quand il fut saisi par une sorte de remords. Il en remplit un autre et le porta à l'homme.
Celui-ci se leva et demanda, tout étonné : «C'est pour moi ?»
«Oui»
«Merci, merci !»
Tandis qu'il se trouvait sous la douche, il se dit qu'il devait y avoir bien longtemps que ce malheureux ne s'était pas lavé. Quand il eut fini, il retourna vers la véranda. Il tombait encore des cordes.
«Vous voulez prendre une douche ?»
L'homme le regarda stupéfait.
«Vous parlez sérieusement ?»
«Bien sûr.»
«C'est un rêve pour moi, vous n'imaginez pas à quel point je vous en serai reconnaissant !»
Non, décidément, cet homme s'exprimait trop bien pour être vraiment ce à quoi il ressemblait. L'inconnu se baissa pour prendre son sac et il suivit le commissaire. Mais si c'était quelqu'un d'instruit et de civilisé, comment avait-il pu tomber aussi bas ?
(Traduction personnelle)
Images : Le Rêve, du Douanier Rousseau, 1910, huile sur toile, Museum of Modern Art, New York
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire