In memoriam D.G.F.
Aux orties et aux pierres.
Aux «mathématiques sévères». Aux trains mal éclairés de chaque soir. Aux rues de neige sous l'étoile sans limite.
J'allais, je me perdais. Et les mots trouvaient mal leur voie dans le terrible silence. – Aux mots patients et sauveurs.
II
À la «Madone du soir». À la grande table de pierre au-dessus des rives heureuses. À des pas qui se sont unis, puis séparés.
À l'hiver oltr'Arno. À la neige et à tant de pas. À la chapelle Brancacci quand il fait nuit.
III
Aux chapelles des îles.
À Galla Placidia. Les murs étroits portant mesure dans nos ombres. À des statues dans l'herbe ; et, comme moi peut-être, sans visage.
À une porte murée de briques couleur du sang sur la façade grise, cathédrale de Valladolid. À de grands cercles de pierre. À un paso chargé de terre morte noire.
À Sainte Marthe d'Agliè, dans le Canavese. La brique rouge et qui a vieilli prononçant la joie baroque. À un palais désert et clos parmi les arbres.
À Delphes où l'on peut mourir.
À la ville des cerfs-volants et des grandes maisons de verre où se reflète le ciel.
Aux peintres de l'école de Rimini. J'ai voulu être historien par angoisse de votre gloire. Je voudrais effacer l'histoire par souci de votre absolu.
IV
Et toujours à des quais de nuit, à des pubs, à une voix disant Je suis la lampe. Je suis l'huile.
À cette voix consumée par une fièvre essentielle. Au tronc gris de l'érable. À une danse. À ces deux salles quelconques, pour le maintien des dieux parmi nous.
Yves Bonnefoy Poésies, Gallimard
I
Alle ortiche e alle pietre.
Alle « matematiche severe ». Ai treni mal rischiarati di ogni sera. Alle strade di neve sotto la stella senza limite.
Andavo, mi perdevo. E le parole trovavano male la via nel tremendo silenzio. — Alle parole pazienti e salvatrici.
II
Alla « Madonna della sera ». Al gran desco di pietra alto sulle rive felici. A passi che si sono uniti, poi divisi.
All'inverno oltr'Arno. Alla neve e a tanti passi. Alla cappella Brancacci, quando è notte.
III
Alle cappelle delle isole.
A Galla Placidia. I muri esigui recando misura nelle nostre ombre. A qualche statua nell'erba ; e, come forse me stesso, senza volto.
A una porta murata con mattoni color del sangue sulla tua facciata grigia, cattedrale di Valladolid. A gran cerchi di pietra. A un paso carico di terra morta nera.
A Santa Maria dell'Agliè, nel Canavese. Pronunciando, i mattoni rossi e invecchiati, la gioia barocca. A un palazzo deserto e chiuso fra gli alberi.
(A tutti i palazzi di questo mondo, per l'accoglienza che fanno alla notte.)
Alla mia dimora in Urbino fra numero e notte.
A Sant'Ivo della Sapienza.
A Delfi dove si può morire.
Alla città degli aquiloni e delle grandi case di vetro dove si riflette il cielo.
Ai pittori della scuola di Rimini. Ho voluto essere storico per ansia della vostra gloria. Vorrei cancellare la storia per sollecitudine del vostro assoluto.
IV
E sempre a marciapiedi notturni, a pubs, a una voce che dica Io sono il lume, Io sono l'olio.
A questa voce consumata da una febbre essenziale. Al tronco grigio dell'acero. A una danza. A queste due stanze qualunque, per mantenere gli dèi in mezzo a noi.
Traduzione : Diana Grange Fiori
Images : en haut, V. Gomis (Site Flickr)
un peu plus bas, Site Flickr
tout en bas, Site Flickr
Pietro da Rimini Deposizione, 1320-1325, Musée du Louvre, Paris (Source : Wiki Commons)
Dans un entretien de 1991 avec John T. Naughton, Yves Bonnefoy prononce ces mots :
RépondreSupprimer"Et l'année vint où il fallut refermer le lieu, le rendre au silence d'avant. Aujourd'hui n'y vivent que les oiseaux qui entrent et sortent avec des cris par une fenêtre restée béante. sauf qu'y viennent aussi ces ombres que la mémoire délègue vers ses durables attachements. Elles y recommencent la nuit la vie des étés anciens, celle qui eut tout de même beaucoup de bonheur et de sens, tout un moment."
p 197/198 du livre "L'Inachevable" qui regroupe des entretiens sur la poésie de 1990 à 2010. (Albin Michel).
Une lampe ?
Cette prière fait de la beauté rencontrée ici dans ces lieux de l'invocation. La pierre des chapelles des îles, la brique rouge de la cathédrale de Valladolid, les statues dans l'herbe du jardin de la villa Médicis, La Madone du soir de la Corse, les maisons de verre de New-York où se reflète le ciel et la nuit, partout. L'art comme lien entre toutes ces haltes. Et ce concerto de Mozart devient presque funèbre, comme si tant de beauté définissait un lieu de nulle part fait de tous les lieux rencontrés où "l'on peut mourir" d'un trop plein de bonheur entre les orties et l'écorce grise des mots.
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