"Il tempo
ha ceduto di colpo.
Mi sento,
con i panni e con l'anima di allora,
in una luce di folgore ; al cuore
una gioia si abbatte vorticosa
come la fine.
Ma non grido.
Muto
parto dell'ombre per l'immenso impero."
Umberto Saba Ceneri
ha ceduto di colpo.
Mi sento,
con i panni e con l'anima di allora,
in una luce di folgore ; al cuore
una gioia si abbatte vorticosa
come la fine.
Ma non grido.
Muto
parto dell'ombre per l'immenso impero."
Umberto Saba Ceneri
"Le temps
a cédé d'un coup.
Je me sens,
avec les vêtements et l'âme d'autrefois,
dans une foudroyante lumière ; au cœur
fond une joie vertigineuse
comme la fin.
Mais je ne crie pas.
Muet
je pars pour l'immense empire des ombres."
Umberto Saba Cendres
a cédé d'un coup.
Je me sens,
avec les vêtements et l'âme d'autrefois,
dans une foudroyante lumière ; au cœur
fond une joie vertigineuse
comme la fin.
Mais je ne crie pas.
Muet
je pars pour l'immense empire des ombres."
Umberto Saba Cendres
Étang près du Pô – jour
La rive d'un étang communiquant avec le Pô. Les peupliers. Goliardo Padova, peintre de la basse-plaine. La toile blanche déjà montée sur le chevalet. Tandis qu'il commence à parler, insert en couleurs du pinceau qui fait le premier signe sur la toile blanche : c'est une tache marron, qui prend rapidement la forme d'un tronc. Plan du peintre Goliardo Padova.
PEINTRE (peu audible pendant toute la séquence). Quand j'étais enfant, j'allais charmer les grenouilles, d'ailleurs c'est aussi devenue une expression péjorative : «Il est bon qu'à charmer les grenouilles !» Il y a aussi les moustiques, peut-être que depuis le temps, on a fait connaissance ; en tout cas, ils ne me piquent pas !
Plan général et plongée : une petite clairière entourée d'arbres et se confondant imperceptiblement avec l'eau de l'étang. À côté du chevalet du peintre, une barque. Le peintre continue à parler (on distingue «peut-être...»). Gina monte une pente jusqu'à un chemin surélevé, où se tient un homme de dos. Elle vient vers lui, le prend par le bras, l'emmène.
GINA. Mon cher... mon cher. Mon grand ami. Mon Puck. (Ils marchent sur le chemin, suivis en travelling latéral). J'étais une petite fille, je ne t'aimais pas tant, et toi, tu me gâtais. Maintenant c'est moi qui t'aime. Et toi... je ne sais pas... je ne sais plus.
PUCK. Petite menteuse ! Tu sais bien que je t'ai toujours aimée.
GINA (lâchant son bras et marchand en avant de lui). Alors, faisons un test : regarde-moi dans les yeux.
Elle s'arrête et se retourne vers lui.
PUCK (off, en français). Je te regarde, chérie !
GINA. Quand j'avais quelque chose, c'était toujours toi le premier à comprendre.
Plan américain. Gina, les yeux fermés, Puck de dos, au premier plan, avançant vers elle, suivi en travelling.
PUCK (en français). Chérie, tu n'as plus confiance en ton vieil ami, alors, c'est fini la vieille amitié ?
Elle lève la tête et rit.
GINA (de nouveau sérieuse). J'ai vraiment un secret, un grand secret. (Elle le prend par le bras et le ramène.) Mais attention, si tu essaies de le deviner... (Elle lui pince le bras en riant.) ...nous ne serons plus amis !
Plan rapproché de Gina et Puck marchant. Il lui montre l'étang. Panoramique découvrant l'ensemble du paysage.
PUCK. Quant à mes secrets, tu peux les voir ici : la digue, l'étang, et Padova le peintre, le seul avec qui j'arrive encore à parler. (Indiquant la direction du chemin.) Et là-bas le Pô, qui reste caché, sans jamais apparaître...
Tout au fond du champ apparaît un petit groupe.
CESARE. Mais tu le sens toujours présent.
Plan rapproché : Puck de face, sort ses lunettes de sa veste.
PUCK. Que de gens en un seul jour ! Je n'y suis plus habitué.
Demi-ensemble, légère contreplongée. Puck sur le chemin. En retrait, sur le talus, Fabrizio et Cesare qui marchent, précédés par une bonne en tablier. Du premier plan apparaît Gina.
GINA. J'ai oublié de te le dire : je suis suivie !
Cesare et Fabrizio descendent le talus vers eux. Cesare serre la main à Gina qui fait les présentations.
GINA (à Cesare). Bonjour. Cesare, Puck.
PUCK. Bonjour.
CESARE. Comment allez-vous ?
GINA. Et Fabrizio, mon neveu.
Gros plan de Puck sans ses lunettes. Il sourit à Fabrizio. Demi-ensemble de la berge avec le peintre. Puck, suivi de Cesare, descend la pente vers lui. Au premier plan, Fabrizio retient Gina par le poignet.
FABRIZIO. Qu'est-ce que tu es venue faire ici ?
GINA. Laisse-moi, tu me fais mal !
FABRIZIO. Tu as changé de genre aujourd'hui ? Tu fais vite, hein ?
GINA (se dégage et court vers Puck). J'arrive !
Elle saute en riant dans les bras de Puck.
Plan rapproché de Padova qui peint et parle.
PEINTRE. Les grenouilles... Il y en a même qui sont géantes, et d'autres plus petites. Mais celles de forme... énorme m'intéressent davantage.
Plan moyen de Puck et Gina assis à l'écart sur un fagot de branches coupées.
GINA. Quelle nostalgie de te revoir ; tant de temps est passé...
Elle lève la tête et rit.
GINA (de nouveau sérieuse). J'ai vraiment un secret, un grand secret. (Elle le prend par le bras et le ramène.) Mais attention, si tu essaies de le deviner... (Elle lui pince le bras en riant.) ...nous ne serons plus amis !
Plan rapproché de Gina et Puck marchant. Il lui montre l'étang. Panoramique découvrant l'ensemble du paysage.
PUCK. Quant à mes secrets, tu peux les voir ici : la digue, l'étang, et Padova le peintre, le seul avec qui j'arrive encore à parler. (Indiquant la direction du chemin.) Et là-bas le Pô, qui reste caché, sans jamais apparaître...
Tout au fond du champ apparaît un petit groupe.
CESARE. Mais tu le sens toujours présent.
Plan rapproché : Puck de face, sort ses lunettes de sa veste.
PUCK. Que de gens en un seul jour ! Je n'y suis plus habitué.
Demi-ensemble, légère contreplongée. Puck sur le chemin. En retrait, sur le talus, Fabrizio et Cesare qui marchent, précédés par une bonne en tablier. Du premier plan apparaît Gina.
GINA. J'ai oublié de te le dire : je suis suivie !
Cesare et Fabrizio descendent le talus vers eux. Cesare serre la main à Gina qui fait les présentations.
GINA (à Cesare). Bonjour. Cesare, Puck.
PUCK. Bonjour.
CESARE. Comment allez-vous ?
GINA. Et Fabrizio, mon neveu.
Gros plan de Puck sans ses lunettes. Il sourit à Fabrizio. Demi-ensemble de la berge avec le peintre. Puck, suivi de Cesare, descend la pente vers lui. Au premier plan, Fabrizio retient Gina par le poignet.
FABRIZIO. Qu'est-ce que tu es venue faire ici ?
GINA. Laisse-moi, tu me fais mal !
FABRIZIO. Tu as changé de genre aujourd'hui ? Tu fais vite, hein ?
GINA (se dégage et court vers Puck). J'arrive !
Elle saute en riant dans les bras de Puck.
Plan rapproché de Padova qui peint et parle.
PEINTRE. Les grenouilles... Il y en a même qui sont géantes, et d'autres plus petites. Mais celles de forme... énorme m'intéressent davantage.
Plan moyen de Puck et Gina assis à l'écart sur un fagot de branches coupées.
GINA. Quelle nostalgie de te revoir ; tant de temps est passé...
PUCK. Tu es toujours la même. Tu viens me voir seulement quand tu es amoureuse... (il regarde Fabrizio) ...et que tu te trompes.
GINA. Toi aussi, tu es le même. Tu as compris tout de suite, dès que tu m'as regardée.
Plan américain : Fabrizio et Cesare, assis sur le rebord de la barque. Fabrizio jette un coup d'œil vers Gina et Puck. Plan moyen de Gina et Puck, comme précédemment.
GINA. Je me suis tellement trompée qu'il ne me reste qu'à m'enfuir.
Puck a pris la main de Gina et la lui embrasse lentement. Plan américain de Fabrizio et Cesare. Fabrizio se lève. Plan rapproché de Gina et Puck, Gina favorisée.
PUCK. Je ne savais pas que tu avais un si grand neveu. Il est de Parme, non ? (Il se tourne vers Fabrizio) Ça se voit à ses chaussures. À Parme, on trouvait toujours une paire de chaussures anglaises, même pendant la guerre : on traversait le Pô pour en acheter. Ça nous semblait très important, alors, d'être anglophiles. (à Gina) Comment s'appelle-t-il ?
Gros plan de Fabrizio de profil, tourné vers Cesare.
FABRIZIO. Fabrizio !
Demi-ensemble plongée. Cesare, assis près du peintre, intervient à l'adresse de Puck.
CESARE. Et la terre ? C'est une bonne terre, non ?
Gros plan de Puck, de profil, vers Cesare. Panoramique vers lui, puis sur Gina.
PUCK. Elle est bonne, mais entièrement hypothéquée. Et le cinq mai, je dois trouver l'argent pour la banque. (Il se retourne vers Gina) C'est la date limite.
GINA. Mais ce n'est pas possible... Stagno Lombardo aussi ?
Plan rapproché de Puck de face.
PUCK. Ciao... À cette époque, dans un an, qui sait à qui sera Stagno Lombardo ? Depuis que mon père est mort, il y a cinq ans, tout part à la dérive. S'il avait pu imaginer une telle ruine, je suis sûr qu'il ne serait pas mort. (Plan plus large, Puck de profil.) Vous m'imaginez, sans le couvert assuré ? Qu'est ce que je devrai faire ? Me mettre à travailler ? Je ne l'ai jamais fait, même pas pour plaisanter.
Plan rapproché de Cesare, qui écoute.
PUCK (off). Mes parents disaient qu'un diplôme ne me servirait à rien, parce que j'avais la terre, et que la terre ne trahit jamais.
Plan de Puck, comme précédemment.
PUCK. Résultat, je suis plus ignorant qu'une taupe.
Bref gros plan de Fabrizio en plongée. Retour sur Puck.
PUCK. J'aurais honte d'aller voler un salaire. Quelque travail que je fasse, ce serait comme voler, manger à l'œil.
Gros plan en plongée de Fabrizio.
FABRIZIO. Pourquoi ? Jusqu'à aujourd'hui, comment avez-vous mangé ? La fausse sincérité me fait rire.
Gros plan de Gina, assise à côté de Puck, qui se lève d'un coup.
GINA. Fabrizio !
PUCK (la prend par le bras et la fait rasseoir). Gina, laisse-le !
Gros plan de Fabrizio qui se lève (légère contre-plongée).
FABRIZIO. C'est trop commode, de se mettre à faire son examen de conscience une fois qu'on n'a plus une lire en poche. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait avant, quand vous aviez le couvert assuré, comme vous dites ?
Gros plan de Gina, comme précédemment. Elle se lève.
GINA. Fabrizio... (gros plan de Cesare, elle continue off.) ...tu es un goujat !
Retour sur Gina, qui se rassied. Puck se tourne vers Fabrizio.
PUCK. Non, non, tu as raison, Fabrizio. Je te tutoie, maintenant que tu t'es compromis avec moi. C'est de ma faute, je vous ennuie avec un cas sans importance.
FABRIZIO (gros plan). Ce n'est pas un cas sans importance. En fait, des cas sans importance comme le vôtre... (gros plan de Cesare baissant la tête ; Fabrizio continue off) ...il y en a trop en Italie.
Plan de Gina et Puck.
PUCK. C'est justement ce que tu n'as pas compris, Fabrizio ! Tu n'as pas compris ce que veut dire l'habitude, l'accoutumance à son propre état. Voilà pourquoi je n'en ai pas honte.
FABRIZIO (gros plan). Bien sûr, on justifie tout avec l'habitude. Le fascisme, Franco, le racisme, on s'habitue à tout. Mais vous dites : «Pourtant, je n'ai pas honte» !
Plan américain des trois. Gina se lève, recule d'un pas, puis redescend vers Fabrizio.
GINA. Tu es stupide, présomptueux, tu parles, tu parles, tu crois tout comprendre, alors que tu ne comprends rien ni personne.
FABRIZIO. Toi, tais-toi, tu ne peux pas parler !
Gina gifle Fabrizio à toute volée, trois fois. Puck intervient, la retient, l'emmène lentement à l'écart en la tenant contre lui. Musique (thème de la séquence). Bruit d'oiseaux. Ils relèvent la tête, Puck en gros plan regarde dans le lointain.
PUCK. Le fleuve non, le fleuve, assez ! Il faut l'oublier, le fleuve ! Ils nous disent de lui dire adieu, ils nous ordonnent de lui dire adieu !
Demi-ensemble. dans le brouillard, un pêcheur pousse sa barque avec une grande rame à travers les roseaux sur l'étang. Plan américain de Puck. De dos, il descend vers l'étang, les bras écartés.
PUCK. Ils viendront ici avec des machines...
Plan de Padova à son chevalet, qui murmure, presque inaudible.
PEINTRE. Les tanches...
Plan américain. Puck marche le long de la berge, levant les bras.
PUCK. Ils viendront ici avec leurs dragues. Il y aura...
Plan de l'homme dans sa barque, dans la brume.
PUCK (off). ...d'autres hommes, et le bruit des moteurs.
Plan américain : Puck porte les mains à sa tête en gémissant.
Panoramique sur les grands arbres dans la brume. Plan de Padova.
PADOVA (inaudible).
PUCK (off). Qui pensera à s'occuper des peupliers, afin qu'ils ne gèlent pas ?
PADOVA (sur lui, inaudible).
Une rangée d'arbres.
PUCK (off). Il ne restera plus rien.
PADOVA (sur lui). Les eaux...
Autres arbres (plan général).
PUCK (off). Il n'y aura plus d'été !
PADOVA (sur lui). Les canaux...
La surface de l'eau et des arbustes.
PUCK (off). Il n'y aura plus d'hiver !
PADOVA (sur lui). Les crapauds...
Un bosquet d'arbres. Plan de Puck, de dos, faisant des gestes à l'homme dans sa barque, hors champ.
PUCK. Pour toi aussi, c'est fini !
Long panoramique sur les eaux et les plantes.
PUCK (off). Va-t'en, retire-toi ! (sur lui) Fais-la couler, ta barque !
Plan de l'homme qui avance sur les eaux.
PUCK (off). Oui, je parle aussi pour toi ! Nous ne pêcherons plus le brochet ensemble. (Plan de Puck se retournant vers la gauche.) Et nous ne pêcherons pas non plus les carpes. Et les canards ne passeront pas... (Plan aérien de champs inondés ; il continue off.) Ils ne reviendront plus dans le viseur de mon fusil. (Autre plan aérien.) Fini, les foulques, fini le vol des oies sauvages !
Les bottes de Puck enfoncées dans l'eau. Travelling avant le recadrant, en plan américain de dos.
PUCK. Voyez-vous, mes amis... (Travelling avant le cadrant en plan rapproché. Il se tourne de profil.) Ici finit la vie et commence la survie. (De face.) Alors, adieu Stagno Lombardo ! Adieu... (de nouveau de dos.) Adieu fusil, et adieu... Puck !
Plan général en plongée des quatre personnages : Fabrizio à l'écart, Cesare et le peintre assis, Gina et Puck debout. Cesare se lève et regarde le tableau.
CESARE. Quelle belle lumière !
Gina vient regarder.
GINA. Nous sommes dedans, nous aussi. Tous.
L'image se fige.
VOIX DE FABRIZIO. À ce moment, je me rendis compte que Puck avait aussi parlé pour moi. En lui, je m'étais vu, des années plus tard, et j'avais eu la sensation que pour nous, enfants de la bourgeoisie, il n'y avait aucune issue.
(Extrait du découpage du film de Bernardo Bertolucci Prima della Rivoluzione, L'Avant-Scène Cinéma, numéro 82, juin 1968)
La photo du pêcheur dans la brume est de Patrick Chartrain (Site Flickr)
J'ai toujours été frappé par l'étonnante ressemblance de Puck avec Philippe Jaccottet.
RépondreSupprimer(Renaud Camus)
Ah oui, c'est vraiment frappant !
RépondreSupprimerL'acteur (occasionnel) qui joue le rôle de Puck fait partie de cette étonnante dynastie artisitique des Barilli (qui compte de nombreux peintres, écrivains, acteurs, cinéastes, musiciens, danseurs) ; il s'appelle Cecrope, comme son grand-père, le peintre, que l'on peut considérer comme le fondateur de la dynastie. Cecrope-Puck est le fils d'Arnaldo Barilli, historien de l'art et poète (il fut un proche de Carducci). Francesco, qui joue Fabrizio, est lui le fils de Carlo Barilli, et le petit-fils du peintre Latino Barilli. Cecrope-Puck est donc l'oncle de Francesco. (Je ne suis pas sûr d'être très clair...)
Parfaitement clair, et très informatif, merci.
RépondreSupprimer(Renaud Camus)
(Pardonnez-moi, je n'arrive pas à mettre ici de message autrement qu'en tant qu'“Anonyme”.-