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dimanche 8 avril 2012

Une phrase amoureuse




« Ce soir, donc, de nouveau, j’écoute la phrase qui ouvre l’andante du premier trio de Schubert. C’est une phrase parfaite, à la fois unitaire et divisée, une phrase amoureuse s’il en fut ; et je constate une fois de plus combien il est difficile de parler de ce qu’on aime. Que dire de ce qu’on aime, sinon : «je l’aime», et le répéter sans fin ? Cette difficulté est ici d’autant plus grande que le chant romantique n’est aujourd’hui l’objet d’aucun grand débat ; ce n’est pas un art d’avant-garde, il n’y a pas à combattre pour lui, et ce n’est pas non plus un art lointain ou étranger, un art méconnu pour la résurrection duquel nous devions militer. Il n’est, au fond, ni à la mode, ni franchement démodé : on le dira simplement inactuel. Mais c’est précisément là peut-être qu’est sa plus subtile provocation, et c’est de cette inactualité que je voudrais faire la brève actualité de ce soir.




Tout discours sur la musique ne peut commencer, me semble-t-il, que dans l’évidence ; de la phrase schubertienne que nous avons entendue, je ne puis dire que ceci : cela chante, cela chante simplement, terriblement, à la limite du possible. Mais n’est-il pas surprenant que cette assomption du chant vers son essence, cet acte musical par lequel le chant semble se manifester ici dans sa gloire, advienne précisément sans le concours de l’organe qui fait le chant, à savoir la voix ? On dirait que la voix humaine est ici d’autant plus présente qu’elle s’est déléguée à d’autres instruments : les cordes. Le substitut devient plus vrai que l’original ; le violon et le violoncelle chantent mieux, ou pour être plus exact, chantent plus que le soprano ou le baryton, parce que, s’il y a une signification des phénomènes sensibles, c’est toujours dans le déplacement, la substitution, bref, en fin de compte, l’absence, qu’elle se manifeste avec le plus d’éclat. »

Transcription de l'introduction de Roland Barthes à l'émission consacrée au chant romantique, diffusée sur France Musique le 12 mars 1972.








Source de la vidéo : Site YouTube

Pour les images, grazie a Federico Novaro  (Site Flickr)

3 commentaires:

  1. Tout ce qui est écrit là est tellement juste, encore une fois. J'écoute le violon et le violoncelle se confier leur âme.

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  2. Oui, et n'oublions pas la pianiste, Hephzibah Menuhin, qui accompagne merveilleusement ici le violon de son frère...

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  3. Je récidive dans le bonheur : je lis, j'écoute...

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