Sempre caro mi fu...
Un des plus beaux, et le plus connu de ces talismans leopardiens, Mario Puccini nous l’a récité admirablement, tandis que nous étions assis au sommet du mont Thabor à présent officiellement nommé «la colline de l’infini» en souvenir du poète. (Car à présent, Recanati est Città-Leopardi comme Stratford-sur-Avon est Shakespeare-Town, et pour un peu on dirait Recanati-Leopardi comme Ferney-Voltaire. Quelle revanche, n’est-ce pas ? Voir le marbre honorer partout, dans cette ville, le gamin que les autres gamins du pays poursuivaient en criant au bossu ! Et il ne reste plus la moindre place pour un buste du distingué archiviste et historien local, comte Monaldo Leopardi...) C’est l’Infinito que Mario Puccini nous a récité au lieu même où il a été médité et qu’il décrit. La haie, derrière laquelle le poète, assis, contemplait l’horizon et ces arrière-plans d’une profondeur extraordinaire, n’existe plus. C’est probablement à sa place que s’élève le mur auquel nous nous adossons. Mais le paysage est le même. Un à un défilent ces quinze vers que chaque Italien sait par cœur, et on voit peu à peu s’approfondir la réalité immédiate, et les cloisons de l’apparence tomber l’une après l’autre devant le vol de l’esprit porté sur les ailes du rythme, et le temps et l’espace s’abolir. Elle s’écoule comme un fleuve rapide et que le néant saisit à mesure, cette nature qui procede / per si lungo cammino / Che sembra star... (La Ginestra) et les périodes géologiques, et la mort des mondes, se dissipent devant la pensée planante, comme les monts devant la face du Seigneur. Jusqu’à ce que cette pensée s’abîme à son tour dans le silence intemporel de l’éternité.
Valery Larbaud Jaune, Bleu, Blanc éditions Gallimard, 1927
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