Salutiamo ! Rintanati in una trincea, – irsuti e belli – figure di vivente fango ed anime di fuoco, – un gruppo d'uomini – soldati d'Italia, – col petto offerto alla morte pur si balocca colla morte. La mitraglia squarcia il cielo, la granata trasforma in un cratere in eruzione la terra che tocca, l'aria è piena di sibili e di tuoni, la fine può essere ad un passo, può essere tra un minuto, – e sulle labbra giovani, sulle labbra forse sul punto di chiudersi, il sorriso pur dura, e la celia, il frizzo, l'arguzia non s'aggelano. Le palle fischiano senza interruzione : « senti stamattina come i rusignoli cantano ! » dice uno. – Una bomba si affonda nella melma senza scoppiare. « La signora prende il suo bagno » un altro osserva, « ma si buscherà un raffreddore ». Un cannone, dalla vallata, tenta cogliere una posizione elevata. Lo si commisera : « è un tenore, ma poveretto, è costretto a cantare da basso ». E dinanzi ai fulmini, tra la ruina, sotto alle tempeste del piombo e del ferro, la risata non si tace, ma zampilla, pullula, si propaga, e la morte che guarda, la morte onnipotente che è da per tutto e il piú umile, se tocca, trasforma in eroe, la morte la rende questa risata sublime.
Salut à tous ! Terrés dans une tranchée, — hirsutes et beaux — visages de boue et âmes de feu, — un groupe d'hommes — soldats d'Italie, — la poitrine offerte à la mort et pourtant jouant avec la mort. La mitraille déchire le ciel, les obus transforment en cratère fumant la terre qu'ils touchent, l'air est plein de sifflements et de détonations, la fin peut être proche, à moins d'une minute peut-être, — et sur les lèvres qui sont sans doute sur le point de se fermer, le sourire demeure, et le rire, la plaisanterie, la boutade ne se figent pas. Les balles sifflent sans trêve : « écoute comme les rossignols chantent ce matin ! » dit l'un. — Une bombe s'enfonce dans la boue sans exploser. « Madame prend son bain » observe un autre, « mais elle risque d'attraper un rhume ». Un canon, depuis la vallée, tente d'atteindre une position élevée. On le plaint : « il a une voix de ténor, mais le pauvre ne peut chanter que d'en bas ». Et au milieu des éclairs, au cœur du désastre, sous les tempêtes de plomb et de fer, le rire ne se tait pas, mais il jaillit, il pullule, il se propage, et la mort qui regarde, la mort toute puissante et omniprésente qui lorsqu'elle frappe peut transformer le plus humble en héros, la mort rend ce rire sublime.
Messieurs, nous vous saluons !
(Traduction personnelle)
Il m'est arrivé autrefois, de trouver dans une cave abandonnée d'un immeuble en démolition, plus d'une centaine de photos d'un photographe de presse anglais, prises sur le front. Les photos étaient toutes légendées et couvraient la guerre dans plusieurs pays. Et c'était ainsi : le rire, le moindre petit plaisir et la mort mêlés : un concert donné par Reynaldo Hahn debout sur une caisse retournée, les soldats, les pieds dans la boue, un combat de boxe improvisé avec Carpentier et présenté dans des conditions tout aussi précaires au front, une oie pour Noël offerte par une paysanne, des parties de cartes, le rasage du matin et la lecture du courrier, toutes ces photos visant à rassurer l'arrière, je suppose, et puis le reste, la boucherie : un avion déchiqueté dans un arbre, de la terre et des hommes qui explosent, l'élan hors de la tranchée pour l'assaut, des brancards emmenés en courant, d'horribles mutilations, des ruines et encore des ruines.... J'ai donné toutes ces photos à un fonds d'archives.
RépondreSupprimerClaude Simon a admirablement parlé de la guerre.
Merci pour cet intéressant témoignage ! J'aime aussi beaucoup Claude Simon, en particulier "La Route des Flandres". Sur la première guerre mondiale, il y a beaucoup de très beaux films italiens ; mes favoris sont "Uomini contro", de Francesco Rosi, "La Grande Guerre" de Mario Monicelli et plus récemment le film d'Ermanno Olmi "Torneranno i prati" (pas sorti en France, j'en ai parlé ici).
SupprimerOui. N'oublions pas non plus, de Claude Simon, Les Géorgiques dans lesquelles, en marge de la Grande Guerre, on trouve les guerres napoléoniennes (dont une partie en Italie) et la guerre d'Espagne. Lesquelles, comme par hasard, donnent lieu au même phénomène : absurdités, impérities, moments figés dans l'attente, situations tragi-comiques mêlés...
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