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mercredi 27 mai 2015

Una botta di malincunia (Un coup de cafard)




La dernière enquête du commissaire Montalbano, La giostra degli scambi [Le manège des confusions] commence par une lutte à mort avec une mouche, et une première confusion qui va en entraîner bien d’autres, tout au long de l’histoire. À chaque nouvel épisode, c’est un vrai plaisir de retrouver le petit monde du commissaire et surtout la langue merveilleuse d'Andrea Camilleri, ce savoureux mélange d’italien et de sicilien si particulier à cet auteur. L’intrigue est ici encore parfaitement maîtrisée, avec ce qu’il faut de rebondissements et d’équivoques pour égarer le lecteur et le tenir en haleine jusqu’à la révélation finale ; mais ce que j’aime particulièrement dans les dernières enquêtes du commissaire de Vigàta, ce sont les moments plus introspectifs où Montalbano s’interroge sur le temps qui passe et la vieillesse qui approche. Je cite ici l’une de ces pauses mélancoliques (presque léopardienne avec cette lune immense dans une nuit de septembre douce et maternelle), où l’on perçoit aussi la voix de l’auteur (quatre-vingt-dix ans en septembre prochain), si paternellement lié à son personnage : 

« Tornò bastevolmenti ‘n anticipo a Marinella. Era ancora troppo presto per mangiare, tanto che non annò a rapriri né il forno né il frigorifiro per vidiri quello che gli aviva priparato Adelina propio per non cadiri ‘n tintazioni. 
S’assittò nella verandina, s’addrumò ‘na sicaretta. 
La notti settembrina era carizzevoli e materna. C’era ‘na luna accussì tunna e vascia che pariva un palloncino da picciliddri sospiso a mezz’aria. 
La linia dell’orizzonti era signata dalla luci trimolanti delle lampare. 
Vinni pigliato da ‘na liggera botta di malincunia al pinsero che, ‘n autri tempi, di sicuro si sarebbi fatto ‘na gran natata. Ora non era cchiù cosa.
E macari Livia... L’ultima vota che l’aviva viduta, aviva arricivuto ‘na pugnalata al cori. Le rughe sutta all’occhi, i fili bianchi nei capilli... Quant’erano veri i versi di quel poeta che amava : 
Come pesa la neve su questi rami. 
Come pesano gli anni sulle spalle che ami. 
[...] 
Gli anni della giovinezza sono anni lontani. 
Si scotì. Si stava lassanno annare al compatimento di se stisso, che è propio il vero signo delle vicchiaglie. O non era chiuttosto la solitudini che accomenzava a pisarigli chiossà della nivi supra i rami ? 
Meglio addedicarisi all’indagini che aviva tra le mano. » 

Andrea Camilleri  La giostra degli scambi  Sellerio editore Palermo, 2015
 




« Il rentra à Marinella avec un peu d’avance. Il était encore trop tôt pour dîner, et, pour ne pas céder à la tentation, il préféra éviter d’ouvrir le four ou le réfrigérateur pour voir ce que lui avait préparé Adelina. 
Il s’assit dans la véranda et alluma une cigarette. 
La nuit de septembre était douce et maternelle. Il y avait une lune si ronde et si grande qu’on aurait dit un ballon suspendu dans l’air. 
La ligne de l’horizon était marquée par les lumières tremblotantes des lamparos.
Il fut pris d’un léger accès de mélancolie à la pensée qu’en d’autres temps, il aurait certainement été nager. Maintenant, il valait mieux éviter. 
Et même Livia... La dernière fois qu’il l’avait vue, il avait reçu un coup de poignard dans le cœur. Les rides sous les yeux, les fils blancs dans les cheveux... Comme ils étaient vrais, les vers de ce poète qu’il aimait : 
Comme la neige pèse sur ces branches. 
Comme les années pèsent sur les épaules aimées. 
[...] 
Les années de la jeunesse sont désormais lointaines.  (1)
Il se secoua. Il était en train de se laisser aller à l’autocompassion, qui est justement la caractéristique principale de la vieillesse. Ou n’était-ce pas plutôt la solitude qui commençait à lui peser plus que la neige sur les branches ? 
Il valait mieux revenir à l’enquête qu’il était en train de mener. »

(Traduction personnelle)

(1) Camilleri cite ici une poésie d'Attilio Bertolucci, La neve [La neige], extraite du recueil Lettera da casa.






Images : au centre, Luca Zingaretti dans le rôle du commissaire Montalbano

en bas, Josema Dieguez  (Site Flickr)

8 commentaires:

  1. J'aime la surprise de cette méditation au beau milieu d'un roman policier. Je pense un peu aux romans de Simenon. Palette grise, un peu mélancolique et immense tendresse.

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    1. Oui, Simenon est évidemment une très grande inspiration pour Camilleri, et Montalbano ressemble aussi un peu à Maigret...

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  2. Je suis heureux d'être de nouveau parmi vous! Depuis ce matin, je peux de nouveau ouvrir le blog.C'est un grand soulagement après ces mois de purgatoires.
    En ce qui concerne Montalbano, je ne pense pas que l'on puisse le rapprocher d'un Maigret. Montalbano transgresse constamment les lois et adopte ses propres règles. En deux mots, Maigret ou un autre policier rétablit "l'ordre du droit" alors que Montalbano, comme le privé des romans noirs lutte avec ses moyens pour la notion simple du Bien contre le Mal. Dans ce monde qui s'effondre et où règne la corruption, il sait qu'il n'a pas beaucoup de chance de gagner, d'ou son amertume. Mais, il lutte avec ses moyens et ses amis ( les derniers descendants d'un monde culturellement riche). La grande différence avec le roman noir des américains c'est que Montalbano use de dérision, comme le peuple sicilien.
    (c'est long, mais un retour, ça se fête, non?)

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    1. Heureux de vous retrouver, Julius !

      Il y a évidemment beaucoup de différences entre Maigret et Montalbano, mais le lien entre les deux est tout de même très fort. Il ne faut pas oublier que Camilleri a été le producteur dans les années soixante de la série télévisée italienne consacrée aux enquêtes de Maigret (une vingtaine d'épisodes, avec Gino Cervi dans le rôle du commissaire ; ils ont connu un énorme succès en Italie). Camilleri a toujours reconnu que Simenon et Maigret ont été la matrice des enquêtes de son commissaire, et que sa première préoccupation a été de chercher à les différencier pour ne pas faire un simple calque.

      Bien sûr, Camilleri est un grand écrivain, et un créateur à part entière, son œuvre n'est pas un pastiche, mais on pourrait pointer bien des ressemblances entre les deux univers : la dichotomie entre le privé et le public (Marinella / le boulevard Richard Lenoir et le commissariat de Vigata / le Quai des Orfèvres), la petite troupe fixe autour des commissaires (Augello, Fazio, Gallo, Galluzzo / Janvier, Torrence, Lucas, Lapointe). Il y a aussi des points de contact dans la manière de conduire l'enquête : les longues promenades de Maigret pendant lesquelles il "rumine" les données de l'enquête et les balades post-prandiales de Montalbano jusqu'au môle, qui sont souvent l'occasion d'illuminations ou de déclics pour résoudre les énigmes. Maigret fait aussi parfois du "théâtre" pour confondre un suspect, comme Montalbano, qui aime bien mettre en scène, avec la complicité de Fazio ou de Mimì Augello, de petits scénarios pour embarrasser un suspect et l'amener à se découvrir... Les deux commissaires sont aussi très sensibles aux atmosphères et aux visages ; ils suivent volontiers leur instinct, même s'il faut parfois transgresser quelques règles de méthode (ou de déontologie) policière. On remarquera aussi que tous les deux sont allergiques à la technologie et à la bureaucratie.

      Il y a également beaucoup de clins d’œil dans les romans de la série Montalbano : souvent, le commissaire termine sa journée en lisant un livre de Simenon, et dans "La Piste de sable", il répond à un interlocuteur qui le compare au lieutenant Colombo : "Non, moi, je serais plutôt le jumeau de Maigret." C'est une plaisanterie, bien sûr, mais qui en dit beaucoup sur la complicité et l'admiration qui lient Camilleri à son maître Simenon...

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    2. Je ne peux nier qu'il existe pas mal de points communs entre les 2 commissaires, c'est une évidence. Mais, je parlais de genre. Pour moi, Montalbano est un héros de romans noirs. Dans le roman policier "classique" ou "à énigme" le crime, le délit, vient troubler l'ordre du droit, déranger la bonne marche de la société. Il faut donc que le policier ( ou le détective genre Agatha C) travaille à mettre "hors-jeu" le coupable. Dans le roman noir réaliste et violent " à l'américaine" l'ordre du droit n'est pas bon. Le Mal domine et le pouvoir politique est exercé par des capitalistes corrompus alliés à des truands et à la Mafia. Ce règne du Mal (1920-1950) est le champ d'action du Vrai roman noir qui aujourd'hui n'est plus qu'une pâle copie.Dans les romans de Hammett, le privé a seulement la vertu d'un monde sans vertu.Je pense simplement que Montalbano ressemble vraiment à ce héros là plus qu'à l'homme à la pipe. A mon sens,Montalbano ( Camilleri?) est amer et déçu, comme ses amis cultivés ou non qui déplorent la fin d'un monde. En Sicile, combien de personnages sont à l'image de ceux-là! Je pense, par exemple, à cette "maîtresse" femme de la ferme de Mosè rencontrée lors de mon voyage.J'ajouterai même que M boit et mange pour oublier que bientôt, tout cela aura disparu. Enfin, je crois que M fait beaucoup plus que transgresser les règles, il désobéit, c'est bien plus fort qu'oublier qq procédures çà et là.
      J'aime beaucoup parler avec vous.

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    3. Je suis partiellement d'accord avec vous, surtout quand vous dites que Montalbano "désobéit". Oui, mais c'est aussi parce que l'ordre du droit est perverti en Sicile, dans la mesure où ceux qui ont pour fonction de le garantir ont souvent partie liée avec ceux qui veulent le détruire ou le détourner à leur profit exclusif. C'est le jeu des miroirs et des faux-semblants, presque congénial dans la patrie de Pirandello, une autre grande référence de Camilleri (avec Leonardo Sciascia).

      Il y a du Falcone et du Borsellino (eux-aussi siciliens) chez Montalbano : il croit à la légalité et il sait bien que pour la rétablir, il faut souvent prendre des chemins de traverse. Oui, il désobéit et passe volontiers par-dessus les ordres que lui donne le préfet de police (un personnage falot, obséquieux et ridicule) ; mais c'est parce que la finalité de ces ordres vise à pérenniser le statu quo, à faire que rien ne change, pour que l'ordre corrompu continue à régner. Montalbano se conduit comme un privé dans un roman de Hammett, mais c'est parce que le contexte dans lequel il évolue ne lui offre pas d'autre possibilité. Il adopte ce comportement pragmatique, mais il se rêve en Maigret, garant de l'ordre du droit. C'est aussi l'une des raisons de sa mélancolie (avec la vieillesse qui gagne et la mort qui guette) : il sait très bien au fond de lui, quand il cède à ce fatalisme toujours à l'affût chez un sicilien, que quand les choses semblent enfin changer, c'est en fait pour que puisse continuer à tourner le manège des malentendus et des faux-semblants...

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    4. Oui, tout à fait, c'est cela. Il peut bien redresser quelques torts, il ne redressera pas le tort général de ce monde, et il le sait, d'où son amertume. Une petite phrase de Hammett pour clore (provisoirement?) notre échange: "L'histoire est un éternel recommencement de la victoire du petit David la vérité sur le Goliath du grand mensonge. La chose essentielle, est que David continue le combat."

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  3. Peu d'impatience dans les enquêtes. Au "qui" est préféré le "comment". Comprendre, là est l'essentiel. C'est dans le secret des êtres que réside la solution et les criminels sont souvent ambigus. Face à eux : intelligence, intuition, discrétion et humanité. Montalbo et Maigret essaient de se mettre dans la peau de l'assassin pour répondre à la question "pourquoi" ? ce sont presque des philosophes évoluant dans un bal masqué. Dans leurs enquêtes, les assassins s'y déguisent avec l'apparence d'un autre.

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