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mercredi 28 mai 2014

Il Sorpasso (Le Fanfaron)




Je cite ici un deuxième extrait de l'ouvrage de Francesco M. Cataluccio, Immaturità. Il s'intéresse dans ce passage à l'immaturité qui caractérise les rapports entre l'homme et l'automobile, à partir de l'analyse du film de Dino Risi Il Sorpasso [titre français : Le Fanfaron] (1962), l'un des chefs d’œuvre de la comédie italienne (et du cinéma italien tout court) :

Le film qui a le mieux montré le piège du rapport entre l’homme et l’automobile, et son pouvoir d’infantilisation, c’est Le Fanfaron [Il Sorpasso : littéralement, le "dépassement"], de Dino Risi (dont le titre de la version américaine, Easy Life, influença Dennis Hopper en 1969 pour un tragique voyage analogue : Easy Rider). L’observation attentive de la vaste gamme d’expressions ridicules des deux protagonistes, dans cette voiture lancée à grande vitesse, jusqu’au tragique accident final, en dit plus long que n’importe quel discours psycho-sociologique sur les métamorphoses et l’immaturité des êtres humains lorsqu’ils se retrouvent au volant d’une voiture. 

Pendant un morne quinze-août romain, Bruno Cortona (interprété par Vittorio Gassman), un fanfaron noceur qui vit d’expédients, se lie d’amitié avec Roberto Mariani (Jean-Louis Trintignant), un étudiant en droit timide. Entre les deux se crée une sorte de rapport Don Quichotte (Cortona) / Sancho Panza (Mariani). Cortona entraîne le toujours hésitant Mariani dans une tragique aventure dont le cœur est le rapport compliqué entre l’âge adulte et la jeunesse. Un rapport que l’on retrouvera par la suite sur un mode encore plus amer, à Castiglioncello, entre le riche, ridicule et âgé entrepreneur du Nord, affublé du surnom enfantin de Bibi (Claudio Gora), et sa fiancée Lilli (Catherine Spaak), la fille de Cortona, cynique et arriviste, peut-être par réaction envers ce père pour qui elle a une certaine affection tout en le considérant comme un raté. 




La bande sonore du film est rythmée de façon obsessionnelle par le vacarme du klaxon bitonal de l’Aurelia de Bruno Cortona, mêlé aux sempiternelles rodomontades de macho italien qu’il assène à son infortuné compagnon de voyage pour lui faire comprendre que lui est un "vrai dur". La voiture sportive est ce qui donne un sens à sa vie en transformant son existence en aventure. « Je ne suis jamais aussi bien qu’au volant de ma voiture. Quand je conduis, je me détends [...] Ma femme disait que mon vrai grand amour, ce n’était pas elle, mais ma voiture ! » En dépassant un cycliste, il lui hurle : « Achète-toi une Vespa ! » Et il ajoute : « Je n’ai jamais aimé le cyclisme, je préfère le billard ». Mariani, toujours un peu triste et pensif, lui dit : « Chacun de nous a un souvenir particulier de son enfance. On dit toujours que c’est le plus bel âge de la vie ; en réalité, on l’a presque complètement oubliée ». Et Cortona lui répond : «Le meilleur des âges, c’est celui que l’on est en train de vivre, celui que l’on a dans le moment présent ». À la fin, c’est Cortona qui l’emportera : juste avant l’accident final dans lequel il va trouver la mort, le timide Mariani dira : « J’ai passé avec toi les deux plus belles journées de ma vie ».

Francesco M. Cataluccio   Immaturità   Einaudi Editore, 2014  (Traduction personnelle)






7 commentaires:

  1. Trintignant dans toute sa belle jeunesse...et Gasmann avec sa verve et son sourire ravageur!
    Belle journée
    MAmina de Sclos

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    1. Les grandes années du cinéma italien... Merci de votre visite, chère amie

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  3. Joyau du cinéma, bien sûr ! Remarquable composition de Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant. Prises de vues époustouflantes comme cette dernière séquence (merci de l'avoir mise en ligne). Portrait de l'Italie de ces années-là dont la tragique fin du film semble une illustration. Et quelle belle voiture fine et racée !
    Mais ce qui a retenu mon attention c'est ce couple funeste. Deux êtres devenus inséparables, un certain 15 août à Rome, (Bruno /Roberto) alors qu'ils sont si différents. Le fanfaron, flambeur, excentrique, nerveux, vulgaire, désinvolte, volubile qui entraîne dans son enfer cet homme pur - tout son contraire- tout en retenue, posé, réfléchi, plutôt timide, introverti et tant malléable. Grisé par l'apparente liberté de Bruno (qui a gâché sa vie personnelle), Roberto le suivra et deviendra la victime idéale (à qui ...l'ogre...survivra)...

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    1. C'est sans doute un peu dommage de révéler la fin du film, mais il est tellement connu que je pense que tous ceux qui passent par ici l'ont sûrement déjà vu ! Merci de ce commentaire, Christiane !

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  4. Côté "immaturité", il faut aussi se souvenir des "petits veaux élevés sous la mère" de Fellini et du trio de "Il Bidone" ; pour moi, le personnage d'Augusto Rocca (Broderick Crawford) est un modèle d'immaturité comme la définit Cataluccio. Il y a aussi, dans un tout autre genre, la jeune et écervelée Wanda du "Cheik blanc ". Tout ces personnages semblent refuser la réalité, beaucoup trop amère pour eux. L'immaturité c'est peut-être le "combat" de la fiction (rêve) contre la réalité (réalisme).

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    1. Très juste, et on pourrait aussi bien ajouter les personnages des "Soliti ignoti" (voir la formidable scène finale, avec Capanelle qui, derrière la palissade du chantier, hurle à son camarade Peppe : "Méfie-toi, ils vont te faire travailler !").

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