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jeudi 30 avril 2009

Santi


Les saints italiens sont simples : on dirait des artisans et des paysans. Ils sont vêtus comme les pauvres gens, toujours décemment habillés chez nous. Comme les artisans, les paysans et les petites gens, ils sont ingénieux, ont les mains agiles ; ils sont maigres, lestes, déliés aussi bien d'esprit que de gestes, ne perdent jamais de temps comme, à force de chair épaisse et d'engourdissement, font les saints allemands. Un maçon tombe-t-il d'un échafaudage ? Vite, ils tendent la main et le rattrapent avant qu'il ne touche terre. Une rivière débordée menace-t-elle le village ? Vite, ils l'arrêtent ou prennent dans leur robe tout le village et volent le mettre en lieu sec. Trouvent-ils sur leur chemin un paralytique ? Ils le touchent d'un petit geste de rien du tout et le font marcher, comme on fait de ces jouets d'enfant où le mécanisme s'est arrêté. Un aveugle tourne-t-il la face vers eux ? De doigts légers comme ailes de papillons, ils effleurent ses paupières et lui redonnent la vue.

(...)

O aisance, légèreté et modestie des saints italiens, finesse de leur esprit, grâce simple et heureuse de leur âme, agilité de leurs mains, facilité honnête de leurs paroles, comme il faut nous en louer ! Comme il faut nous en faire gloire ! Pour ce qui est de leurs miracles, simples et honnêtes, ils les font comme la ménagère fait ses paupiettes, avec un peu de mie de pain, une branche de persil, une feuille d'herbes fines – que nous appelons « odeurs » – un brin d'oignon hâché et un soupçon d'ail, en roulant le tout dans la paume de ses mains pour lui donner forme et consistance ; et ce sont des miracles pour le bien de tous et non pas seulement celui des seigneurs. Leur parler est simple et clair, tout le monde peut le comprendre, même ceux qui ne savent pas le latin. Combien leur pauvreté est avenante et leur prodigalité grande et merveilleuse, étant, comme ils sont, les plus pauvres et les plus prodigues des Italiens – lesquels sont d'autant plus prodigues qu'ils sont plus pauvres : et donnent non seulement tout ce qu'ils ont, mais ce qu'ils n'ont pas, qui est beaucoup plus que ce qu'ils ont, et jamais ne jugent, jamais ne condamnent, jamais n'envoient personne en enfer, aiment et respectent le pêcheur plus que le vertueux, se couchent à côté des malades, des pestiférés, des lépreux et baisent leurs plaies !

(...)

Là où ces saints passent, la fièvre descend, les malades retrouvent la parole, la sueur ne perle plus sur leur peau. Sans ces saints, le peuple aurait davantage à souffrir ; il y a tant de misère dans le monde ! Non qu'ils aient le remède contre la misère, fièvre maligne qui ne passe jamais. Mais ils ont une façon à eux de parler de la faim, des abus des seigneurs, de l'égoïsme des riches, de la méchanceté des sbires à la solde des seigneurs ; une façon si tranquille de compatir aux malheurs du peuple, et en même temps des yeux si pleins de feu que, à les écouter, le pauvre monde sent l'espoir renaître dans son cœur et, peut-être encore mieux que l'espoir, la certitude d'un temps meilleur. Et une chaude odeur de pain se répand dans l'air.

Curzio Malaparte Ces chers Italiens, Stock, 1962.

Traduction : Mathilde Pomès.

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