Maraviglioso Boccaccio (titre français : Contes italiens) est le dernier film en date des frères Taviani (aujourd'hui l'un et l'autre largement octogénaires) ; il s'agit d'une adaptation de cinq nouvelles du Décameron, autour d'un dispositif narratif fidèle au livre de Boccace : un groupe de jeunes gens fuient la peste qui dévaste Florence au quatorzième siècle et s'installent dans une ferme de la campagne toscane, lieu idyllique et éloigné de l'horreur de l'épidémie, où ils vont quotidiennement, le temps de dix journées, raconter à tour de rôle des histoires.
Il sera question d'amours qui connurent des fins malheureuses (l'épisode de Ghismunda et Guiscardo, dans la quatrième journée), du bonheur chèrement conquis après de douloureuses épreuves (l'épisode de Federigo degli Alberighi, dans la cinquième journée), des tours que les hommes l'un à l'autre se jouent (l'épisode de Calandrino, dans la huitième journée, avec un épatant Kim Rossi-Stuart), d'histoires truculentes et cocasses (l'épisode de la mère supérieure et de la culotte du prêtre, dans la neuvième journée), de gestes d'amour magnifiques et extraordinaires (l'épisode de Messire Gentil de' Carisendi et de Monna Catalina, dans la dixième journée).
Le film n'atteint évidemment pas les sommets de Kaos, un autre film à épisodes des Taviani, d'après les nouvelles de Pirandello, mais il est quand même plaisant et fort agréable à regarder. Ce qui emporte ici le spectateur, c'est surtout l'impression d'assister à l'une des dernières manifestations d'un art du cinéma qui s'est perdu : beauté fulgurante des cadres et des images, avec des costumes, des visages et des paysages magnifiés que l'on croirait sortis d'une fresque de Masaccio, de Masolino ou de Filippino Lippi, saveur d'un parler toscan corsé et vigoureux, merveilleuse harmonie des mouvements de caméra et des musiques admirablement choisies.
Les Taviani sont ici les derniers représentants de ce grand cinéma de poésie que Pasolini appelait de ses vœux, et on pense évidemment souvent à lui en voyant le film, même si la vision de l’œuvre de Boccace que nous proposent les deux frères est fort éloignée de la Naples grouillante, paillarde et subversive du Décameron, le premier film de la Trilogie de la vie pasolinienne. On remarque tout de même un clin d’œil à ce dernier dans l'épisode de la Mère supérieure dérangée en pleine nuit qui, contrainte de sortir précipitamment, confond son voile et les culottes de son amant, dont elle se coiffe prestement !
A la fin du film, le phalanstère improvisé se défait ; les réfugiés de ces dix journées se séparent et se disent adieu sous une pluie battante. Mais le spectateur ne peut pas s'empêcher de penser que ce qui a lieu sous ses yeux est sans doute aussi un adieu à ce grand cinéma italien nourri de culture et de profonde poésie que les Taviani ont si souvent illustré dans leur longue et féconde carrière.
Images : Maraviglioso Boccaccio, de Paolo et Vittorio Taviani (captures d'écran)
Merveille, semble-t-il de ces contes italiens "revus" par les prestigieux frères Taviani dont je guette les films.
RépondreSupprimerLes palimpsestes de ce site que j'aime lire et contempler avec lenteur me donnent l'impression qu'une ombre se glisse derrière ces billets, ces poèmes, ces chants, ces traductions un peu comme la pudeur de la poésie qui dit sans dire les chagrins et les joies de la vie. Je reçois la beauté souveraine de ces écritures, de ces photos superbes qui me font voyager (Ah, l'Italie...) en même temps que la présence d'un voyageur immobile, sans visage, sans nom dont les rêveries tissent ici une tapisserie que n'aurait pas reniée Pénélope...
Merci, Christiane ! Le film est sorti en France au mois de juin ; je ne pense pas qu'il soit encore sur les écrans, mais on pourra sans doute le revoir bientôt en DVD ou à la télévision.
SupprimerEt la photo du haut me fait songer à un Poussin, par les couleurs, la composition, l'équilibre et la sérénité. Et quand on parle du "grand cinéma de poésie" selon Pasolini, c'est aussi à Médée que je songe....
RépondreSupprimerPoussin, oui, et avant lui on peut penser aussi à Pontormo, pour le côté "acidulé" des couleurs. Le jeune homme que l'on voit derrière une grille (sixième photo en partant du haut) est vraiment le sosie de celui qui figure tout au fond à droite dans la fresque du Crucifiement de saint Pierre de la chapelle Brancacci, peinte par Filippino Lippi (on pense d'ailleurs qu'il s'agit d'un autoportrait du peintre).
SupprimerAh oui! J'ai regardé tout ça. Merci pour toutes ces précisions.
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